Les engrais sont nécessaires à la production végétale et améliorent la qualité des cultures. Toutefois, leur production consomme énergie et ressources et leur utilisation peut générer divers impacts : eutrophisation des eaux de surface, dépassement des normes de potabilité des eaux souterraines pour le nitrate, volatilisation de protoxyde d'azote (gaz à effet de serre) et d'ammoniac (précurseur de particules fines), apports aux sols d'éléments indésirables[1].
Consommation d'engrais et stock d'azote dans les sols agricoles en Wallonie
* kg de N pour l'azote, kg de K2O pour le potassium, kg de P2O5 pour le phosphore.
** Superficie agricole utilisée.
*** Somme de "Azote minéral" et "Azote organique - effluents d'élevage". Les données relatives aux apports d'azote via les matières organiques exogènes (boues de stations d'épuration, boues industrielles dont écumes de sucreries, composts, digestats de biométhanisation) ne sont pas encore suffisamment consolidées pour être comptabilisées.
* kg de N pour l'azote, kg de K2O pour le potassium, kg de P2O5 pour le phosphore.
** Superficie agricole utilisée.
*** Somme de "Azote minéral" et "Azote organique - effluents d'élevage". Les données relatives aux apports d'azote via les matières organiques exogènes (boues de stations d'épuration, boues industrielles dont écumes de sucreries, composts, digestats de biométhanisation) ne sont pas encore suffisamment consolidées pour être comptabilisées.
Consommation des engrais azotés en baisse
En 2023, les quantités moyennes d'engrais azotés minéraux ("azote minéral") appliquées sur les sols agricoles wallons s'élevaient à 86,4 kg de N/ha de superficie agricole utilisée (SAU). À titre indicatif, la moyenne européenne était de 55,2 kg de N/ha de SAU en 2022[2], contre 73,6 kg de N/ha de SAU en Wallonie la même année. Sur la période 1995 - 2009, les quantités d'azote minéral appliquées en Wallonie ont baissé de 25 %. Entre 2009 et 2017, elles se sont maintenues à des niveaux proches de 100 kg de N/ha de SAU, pour baisser ensuite. Cette évolution est essentiellement liée à celle du prix des engrais azotés, elle-même liée (i) aux variations du prix du gaz naturel nécessaire à leur synthèse et (ii) à l'évolution de l'offre et de la demande mondiales, dans laquelle le prix des céréales joue un rôle majeur[3]. La forte baisse de consommation observée en 2022 (- 19 %) s'explique ainsi par l'explosion des prix du gaz dans le double contexte de relance mondiale de l’activité économique post-COVID et de la chute des importations de gaz russe par l'UE suite à la guerre en Ukraine.
Les apports d'engrais azotés organiques via les effluents d'élevage ("azote organique - effluents d'élevage"), non concernés par la crise énergétique de 2021 - 2023, ont atteint 89,6 kg de N/ha de SAU en 2023, soit à peu près autant que les apports d'azote minéral. Ils ont baissé de 21 % sur l'ensemble de la période 1995 - 2023, essentiellement en raison de la diminution de la taille du cheptel bovin q et de la mise en application du Programme de gestion durable de l'azote en agriculture (PGDA) q.
Les apports d'engrais azotés totaux ("azote total")[4] sont passés de 240,9 kg de N/ha de SAU en 1995 à 203,9 kg de N/ha de SAU en 2005 (- 15 %), se sont stabilisés jusque 2016 à un peu plus de 200 kg de N/ha de SAU, pour ensuite baisser à nouveau (175,9 kg de N/ha de SAU en 2023).
Un surplus d'azote de près d'un cinquième des apports annuels totaux
Le stock d'azote présent dans la zone racinaire des sols agricoles sous forme de nitrate (NO3-), assimilable à un surplus non consommé par les cultures, peut être estimé par modélisation[5]. Sur la période 2008 - 2016, ce stock est resté relativement stable autour d'une valeur moyenne de 37 kg de N/ha de SAU, équivalant à près d'un cinquième des apports annuels moyens d'engrais azotés totaux. Cette relative stabilité est à mettre en lien avec la stabilité de ces apports. La hausse observée de 2017 à 2019 est liée comme en 2006 aux conditions climatiques (vagues de chaleur et sécheresses saisonnières) ayant entrainé moins de prélèvement d'azote par les plantes et une minéralisation plus rapide de l'azote organique. Cette situation ne s'est pas produite de 2020 à 2023, période durant laquelle l'évolution du stock d'azote a suivi grosso modo celle des apports. En 2023, ce stock atteignait près d'un quart des apports annuels moyens totaux.
Consommation des engrais potassiques et phosphatés relativement stable depuis 2009
En 2023, les quantités moyennes d'engrais minéraux potassiques ("potassium minéral") et phosphatés ("phosphore minéral") appliquées sur les sols agricoles wallons s'élevaient respectivement à 23,6 kg de K2O/ha de SAU et 9,7 kg de P2O5/ha de SAU. À titre indicatif, la consommation moyenne européenne d'engrais phosphatés était de 13,4 kg de P2O5/ha de SAU en 2022[2], contre 8,4 kg de P2O5/ha de SAU en Wallonie la même année (donnée non disponible pour le potassium). Sur la période 1995 - 2009, les quantités de potassium minéral et de phosphore minéral appliquées en Wallonie ont baissé de 70 % et 76 % respectivement. Elles se sont stabilisées ensuite jusqu'en 2021 autour de valeurs légèrement supérieures à celles de 2009. En 2022, elles ont fortement baissé (- 28 % et - 36 % respectivement). La baisse observée entre 1995 et 2009 s'explique principalement par l'évolution des prix des engrais, elle-même liée à la raréfaction progressive des sources d'approvisionnement locales[6], à l'évolution de l'offre et de la demande mondiales et, plus ponctuellement, à la crise économique de 2009. Par ailleurs, le développement d'une fertilisation raisonnée, qui vise un meilleur ajustement des apports de fertilisants aux besoins des cultures, a pu également contribuer à une baisse de consommation q. Ces facteurs ne semblent cependant plus avoir eu d'impact de 2009 à 2021[7]. En 2022, la chute s'explique par la crise énergétique de 2021 - 2023 et l'inflation qui a suivi.
À noter que les apports d’engrais phosphatés ont été excédentaires par rapport aux besoins des cultures pendant des décennies jusqu’aux alentours de l’année 2000, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui q.
Des réponses de l'UE pour réduire les pertes en nutriments dans l'environnement et favoriser l'économie circulaire
La Stratégie européenne "De la ferme à la table" (Farm to Fork Strategy) q comprend parmi ses objectifs une baisse d'au moins 50 % des pertes en nutriments d'ici 2030 sans affecter la fertilité des sols. Celle-ci s'accompagnerait d'une baisse d'au moins 20 % de la consommation d'engrais. Ces objectifs sont toutefois non contraignants en l'absence de directive(s) ou règlement(s) qui s'attacheraient à les atteindre.
Par ailleurs, dans le cadre de la transition vers une économie circulaire, le règlement "fertilisants" (UE) 2019/1009 q, d'application depuis 2022, vise à encourager l’utilisation d'engrais issus de matières recyclées ou organiques[8]. Ce règlement définit les conditions auxquelles doivent répondre les "fertilisants UE" minéraux et organiques pour être librement commercialisés sur le marché de l'UE[9], ce qui devrait favoriser leurs échanges. Au niveau wallon, ce règlement fait craindre une profonde remise en cause du PGDA q. En effet, la libre circulation d’engrais à base de matières azotées recyclées ou organiques produites dans l’UE pourrait faire concurrence à celles produites localement (effluents d'élevage en particulier) tout en n'étant pas comptabilisées actuellement dans le calcul du taux de liaison au sol[10].
D'autre part, le règlement "fertilisants" introduit des limites de concentration pour divers contaminants dans les engrais[11]. Pour le cadmium, naturellement présent dans les roches phosphatées mais toxique et non essentiel au métabolisme des organismes vivants, la teneur maximale est fixée à 60 mg par kg de P2O5, avec mise en place d'un label volontaire "à faible teneur en cadmium" pour les engrais contenant moins de 20 mg par kg de P2O5. La fixation de cette limite présente des enjeux économiques et géopolitiques, les roches phosphatées de Russie étant naturellement pauvres en cadmium (< 1 mg par kg de P2O5) par rapport à celles d'Afrique du nord (38 à 200 mg par kg de P2O5)(c).
[1] Selon une étude menée en Wallonie en 2012, les apports de cadmium (Cd) via les engrais phosphatés, et de cuivre (Cu), nickel (Ni) et zinc (Zn) via les effluents d'élevage, pourraient apporter sur une période de 100 ans jusqu'à 162 %, 95 %, 29 % et 45 % des concentrations de Cd, Cu, Ni et Zn déjà présentes dans le sol en tant que bruit de fond naturel et anthropique(a).
[2] Année des dernières données disponibles pour l'UE-27.
[3] Une hausse du prix des céréales sur le marché international stimule leur production, donc la demande mondiale d'engrais, ce qui fait monter leur prix le temps que l'offre s'adapte à la demande.
[4] Somme des apports d'azote minéral et d'azote organique - effluents d'élevage. Les données relatives aux apports d'azote via les matières organiques exogènes (boues de stations d'épuration, boues industrielles dont écumes de sucreries, composts, digestats de biométhanisation) ne sont pas suffisamment consolidées pour être comptabilisées.
[6] Pour les engrais phosphatés, la disparition des scories de déphosphoration ou "scories Thomas" (sous-produit de la sidérurgie) suite à une modification des procédés, au recours à des minerais de fer moins riches en phosphates et au déclin de la sidérurgie wallonne, a rendu nécessaire l'importation de phosphates miniers (du Maroc surtout). Pour les engrais potassiques, l'exploitation des gisements d'Alsace a cessé en 2002 et celle des gisements d'Allemagne est devenue coûteuse, d'où l'importation depuis des pays plus lointains (Canada, Russie, Biélorussie, Chine…). À noter que depuis 2021 les sanctions de l'UE à l'égard de la Russie et de la Biélorussie ont relancé l'intérêt de la recherche de gisements en Allemagne.
[7] La consommation de potassium minéral est influencée par les superficies dédiées aux betteraves et aux pommes de terre, deux cultures très consommatrices de cet engrais. Depuis les années '90, les superficies sous betteraves diminuent tandis que celles sous pommes de terre augmentent q. Ces évolutions se compensent du point de vue de la consommation de potassium minéral.
[8] Effluents d'élevage transformés, composts, digestats, biodéchets collectés sélectivement, sous-produits animaux, sous-produits de l’industrie alimentaire…
[9] Le règlement 2019/1009 est optionnel : il ne concerne que les produits portant le marquage "fertilisants UE" destinés à la vente sur le marché européen. Il n'empêche pas la vente d'un digestat, d'un compost ou de tout autre engrais sans marquage "fertilisant UE", selon la législation nationale en vigueur.
[10] Le taux de liaison au sol (LS) vise à vérifier l'équilibre entre les quantités d'azote organique disponibles sur une année au sein d’une exploitation et ses capacités d’épandage autorisées sur le territoire wallon, afin de minimiser les pertes en nitrate vers les eaux. Voir la fiche d'indicateurs "Programme de gestion durable de l'azote en agriculture" q.
[11] Avant 2022, la législation européenne n’imposait pas de teneurs limites en contaminants dans les engrais, sauf en agriculture biologique depuis 2009 pour certains d'entre eux. La législation belge impose par ailleurs des teneurs maximales en éléments traces métalliques (ETM) depuis 2013 pour les boues d'épuration destinées à une valorisation en agriculture. Elles sont actuellement règlementées par l’AR du 12/01/2023 q.
Évaluation
Évaluation de l'état non réalisable et tendance globalement stable
- Pas de référentiel
- Le stock d'azote présent dans la zone racinaire des sols agricoles sous forme de NO3- devrait tendre vers 0. En 2023, le surplus d'azote encore présent dans les sols agricoles (41,9 kg de N/ha de SAU) représentait 24 % des apports d’engrais azotés totaux.
Sur fond, depuis 2009, de tendance à la baisse pour les engrais azotés et de stabilité pour les engrais phosphatés et potassiques, la consommation d'engrais a chuté en 2022 suite à la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. Le stock d'azote sous forme de NO3- dans la zone racinaire est quant à lui resté globalement stable, sauf au cours de la période 2017 - 2019 marquée par des vagues de chaleur et des sécheresses saisonnières qui ont favorisé son augmentation.