La biodiversité (faune, flore, habitats et leurs interactions) est essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes et constitue une richesse naturelle et patrimoniale. En outre, elle fournit de nombreux services indispensables à la survie des humains, comme l’approvisionnement en nourriture, la pollinisation, la régulation du climat, le contrôle de l’érosion des sols ou la régulation des ravageurs et agents pathogènes, sans oublier les services culturels et récréatifs nécessaires au bien-être. La biodiversité est cependant dans un état préoccupant depuis de nombreuses décennies en Wallonie, comme dans de nombreuses régions industrialisées. Milieux naturels dégradés, habitats réduits, espèces menacées ou écosystèmes perturbés : la biodiversité subit les conséquences de pressions multiples qui résultent des activités humaines. Des efforts sont déployés pour améliorer l’état de la faune, de la flore et des habitats, certains avec succès. Mais des progrès importants restent à accomplir pour mettre un terme au déclin de la biodiversité en Wallonie.
Une riche biodiversité à étudier davantage
La Wallonie abrite entre 30 000 et 35 000 espèces de microorganismes, de champignons, de plantes et d’animaux, ce qui représente 55 à 65 % des espèces recensées en Belgique. En ce qui concerne les habitats naturels dans lesquels ces espèces évoluent, ils se répartissent en 474 biotopes différents. Pour analyser l’état des espèces et habitats et connaître leur évolution, des programmes d’inventaire et/ou de surveillance ont été lancés dès la fin des années '80. En pratique, sur l’ensemble des espèces présentes en Wallonie, on ne dispose d’informations précises que pour un nombre limité de groupes : les plantes vasculaires, les fourmis, les carabidés, les coccinelles, les papillons, les libellules, les poissons, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères. Parmi ces groupes, certains comme les oiseaux ou les papillons constituent de très bons indicateurs de l’état de la biodiversité en raison de leur sensibilité et de leur temps de réaction rapide face aux changements environnementaux. Pour cette raison, ils font l’objet d’inventaires systématiques sur le territoire wallon.
Des indicateurs pour une évaluation globale de l'état de la biodiversité
Les espèces et habitats dits d’intérêt communautaire
Sur l’ensemble des espèces et habitats wallons, un petit nombre sont reconnus comme d’intérêt pour la Communauté européenne au sens des directives "Oiseaux" et "Habitats-Faune-Flore", soit parce qu’ils sont vulnérables ou en danger de disparition, soit parce qu’ils sont rares, endémiques (leur répartition géographique étant limitée à un territoire particulier) ou emblématiques. Sont ainsi concernés l’ensemble des 165 espèces d’oiseaux présentes naturellement en Wallonie[1], ainsi que 75 espèces de la flore et de la faune (autres que oiseaux)[2] et 41 types d’habitats[3]. En application de ces directives, la Wallonie est tenue de protéger et de conserver ces espèces et habitats et d’assurer leur maintien ou leur rétablissement dans un bon état de conservation. L’état de conservation et les tendances de ces espèces et habitats font donc l’objet d’un suivi et d’une attention particulière. Ils sont évalués notamment sur base des aires de répartition et de la dynamique des populations.
Oiseaux : un bilan en demi-teinte
Pour les 165 espèces d’oiseaux indigènes que compte la Wallonie, sur une période de 40 ans (1978 - 2019), le curseur oscille entre les 70 espèces qui voient leurs populations augmenter (42 % des espèces) et les 55 espèces dont les populations sont en diminution (33 %). Seule une minorité d’espèces (15 espèces, soit 9 %) présentent des effectifs considérés comme stables. Pour le reste, 22 espèces (13 %) sont apparues et 3 espèces (2 %) ont disparu au cours de cette période (le cochevis huppé, le traquet motteux et la pie-grièche à tête rousse). Parmi les espèces apparues ces 40 dernières années, on peut relever plusieurs espèces associées aux zones humides (grande aigrette et spatule blanche p. ex.). De nombreux oiseaux d’eau montrent en effet une dynamique positive en Europe depuis la fin du 20ème siècle suite à l’arrêt d’une chasse et d’un braconnage excessifs et grâce à une meilleure protection des zones humides à travers le continent. En Wallonie, leur implantation est toutefois souvent fragile car ces milieux humides restent rares et de petites dimensions. Plusieurs espèces sont ainsi cantonnées à un seul site (les marais d’Harchies) et leurs populations restent donc vulnérables. Les rapaces diurnes (épervier d’Europe ou faucon pèlerin p. ex.), également menacés autrefois, montrent eux aussi une tendance positive. Outre la diminution des persécutions dont ils faisaient l’objet, ils ont certainement bénéficié de l’interdiction de certains pesticides, comme ceux de la famille des organochlorés (DDT p. ex.). Pour les rapaces nocturnes, la tendance est plus mitigée, avec le déclin du hibou moyen-duc et de la chevêche d’Athena, le retour du grand-duc d’Europe et l’apparition récente de la chevêchette d’Europe(a).
Ces résultats encourageants ne doivent pas occulter le fait qu’en 40 ans, les effectifs totaux (nombre absolu d’oiseaux, toutes espèces confondues) semblent avoir diminué d’environ 10 %. Cette chute est en particulier notable pour les oiseaux autrefois très abondants, comme l’étourneau sansonnet ou le moineau friquet, victimes de la raréfaction des vergers hautes tiges traditionnels, et pour les oiseaux des milieux agricoles comme l’alouette des champs, comme expliqué plus loin.
Autres espèces d’intérêt communautaire : état de conservation préoccupant
En dehors des oiseaux, l’état de conservation s’est révélé défavorable en 2019 pour près de ¾ des espèces d’intérêt communautaire dans chacune des deux régions biogéographiques[4] qui couvrent la Wallonie. En région atlantique (nord du sillon Sambre-et-Meuse), 71 % des espèces étaient en état défavorable ; en région continentale (sud du sillon Sambre-et-Meuse), 72 % des espèces étaient en état défavorable. Certaines espèces étaient dans un état particulièrement préoccupant. C’est le cas d’insectes comme le damier de la succise, le cuivré de la bistorte et le lucane cerf-volant, de poissons comme le barbeau fluviatile et le saumon atlantique, de mollusques comme la moule perlière et la mulette épaisse, d’amphibiens comme le crapaud accoucheur, le crapaud calamite et le triton crêté, de reptiles tels que la coronelle lisse et le lézard des souches, et enfin de mammifères comme la loutre d’Europe.
Certaines espèces ont toutefois montré des signes d’amélioration de 2007 à 2019, surtout en région continentale où la tendance est positive pour près de 30 % des espèces (16 % en région atlantique). C’est le cas pour certaines espèces de chauves-souris comme le vespertilion de Natterer par exemple, ou pour des espèces dites thermophiles qui bénéficient du réchauffement climatique, comme certains papillons (écaille chinée ou cuivré des marais p. ex.) ou certaines libellules (leucorrhine à gros thorax p. ex.). La tendance est toutefois à la détérioration pour 16 % des espèces en région atlantique et 24 % en région continentale (coronelle lisse et crapaud calamite p. ex.). Pour le reste, la tendance est stable (18 % des espèces en région atlantique et 15 % en région continentale) ou, pour une proportion importante d’espèces, indéterminée en raison d’un manque d’information (50 % des espèces en région atlantique et 32 % en région continentale).
Régions biogéographiques en Wallonie
Habitats d’intérêt communautaire : état de conservation majoritairement défavorable
Couvrant une superficie équivalant à environ 12 % de la Wallonie, les habitats d’intérêt communautaire étaient en 2019 en état défavorable pour la toute grande majorité d’entre eux. Ce constat vaut aussi bien pour la région atlantique que pour la région continentale avec respectivement 96 % et 95 % des types d’habitats en état défavorable (soit 27 types d’habitats sur 28 en région atlantique et 39 types d’habitats sur 41 en région continentale). Seules les grottes et cavités souterraines faisaient exception. Au rang des types d’habitats particulièrement menacés, certains sont très spécifiques et concernent des surfaces très faibles plus ou moins déconnectées les unes des autres. C’est le cas des pelouses calcaires (couvrant 5,1 km², soit 0,03 % de la Wallonie) ou des nardaies (6,2 km², soit 0,04 %), et de milieux humides tels que les tourbières basses alcalines (0,3 km², soit 0,002 %), les tourbières boisées (9,0 km², soit 0,05 %) ou les landes humides (30,1 km², soit 0,18 %). Outre leur isolement, ces habitats sont pénalisés par la disparition d’espèces typiques suite à l’enfrichement ou au reboisement dans les formations herbeuses, ou à l’extension de la molinie (graminée) sur les landes humides et les tourbières. D’autres types d’habitats menacés sont plus largement distribués. C’est le cas des différents types de hêtraies par exemple (1 068 km², soit 6,32 %) qui souffrent d’une faible diversité en espèces ou de la trop forte compaction des sols.
Quelques habitats en état défavorable montrent toutefois une tendance à l’amélioration sur la période 2007 - 2019. C’est le cas pour les habitats tourbeux, les nardaies ou les pelouses calcaires qui ont bénéficié de travaux de restauration dans le cadre de projets LIFE (projets cofinancés par l’UE), et pour les forêts alluviales qui bénéficient des mesures règlementant les plantations résineuses en bordure de cours d’eau. Mais globalement, ces habitats restent tout de même pénalisés par des surfaces trop petites et trop peu connectées entre elles.
Les listes rouges des espèces : un indicateur international pertinent pour la Wallonie
Développé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le concept de liste rouge des espèces est un système de classification des espèces en fonction de leur risque d’extinction. Ce risque dépend lui-même de différents critères : la taille des populations, le degré d’isolement de celles-ci, la surface occupée… À l’échelle de la Wallonie, des listes rouges ont été dressées de 2005 à 2021 pour 9 groupes d’espèces. Les espèces considérées comme menacées sont l’ensemble des espèces jugées vulnérables, en danger ou en danger critique. Sur le total des 1 322 espèces de plantes vasculaires présentes en Wallonie, 448 sont considérées comme menacées (34 %). Pour les carabidés, cela concerne 109 espèces sur 319 (34 %) ; pour les papillons de jour, 34 sur 85 (40 %) ; pour les libellules, 15 sur 58 (26 %) ; pour les poissons, 15 sur 36 (42 %) ; pour les amphibiens, 2 sur 12 (17 %) ; pour les reptiles 3 sur 7 (43 %) ; pour les oiseaux, 49 sur 151 (32 %) ; pour les chauves-souris, 8 sur 20 (40 %). Les plantes vasculaires, les carabidés et les oiseaux montrent les proportions les plus importantes d’espèces considérées comme en danger et en danger critique. Ces listes rouges répertorient également les espèces éteintes (la période de référence étant variable en fonction des groupes d’espèces). Les groupes les plus concernés sont les plantes vasculaires (115 espèces éteintes au niveau régional depuis 1995), les carabidés (46 espèces éteintes depuis 1995), les papillons de jour (18 espèces éteintes depuis 1998) et les oiseaux (12 espèces éteintes depuis 1990).
Ces groupes pour lesquels des listes rouges ont pu être établies sont des groupes qui bénéficient d’un suivi méthodique, par exemple parce qu’ils sont constitués d’un nombre relativement réduit d’espèces (ce qui facilite le travail d’inventaire), ou parce qu’ils suscitent l’intérêt des naturalistes (ce qui assure la récolte de nombreuses données), ou encore parce qu’ils sont de bons indicateurs des changements environnementaux. Il conviendrait d’établir des listes rouges pour d’autres groupes d’espèces.
Des indicateurs complémentaires pour une vision plus exhaustive
Les indicateurs abordés dans les paragraphes précédents ont le mérite d’être reconnus internationalement et d’être facilement comparables entre les pays, mais ils présentent des limites. Par exemple, les indicateurs composites que sont les listes rouges ne permettent pas toujours la compréhension des phénomènes qui sont en jeu. Les indicateurs basés sur les espèces et habitats d’intérêt communautaire quant à eux ne se rapportent qu’à une partie seulement de la biodiversité. En effet, ils ont trait majoritairement à ce que l’on appelle la biodiversité extraordinaire : il s’agit d’espèces et d’habitats rares, emblématiques, menacés ou protégés. Or la plus grande part de la biodiversité est constituée d’espèces et habitats plus communs : il s’agit de la biodiversité dite ordinaire, c’est-à-dire la biodiversité de notre environnement quotidien. Bien qu’a priori plus abondants et répandus, ces espèces communes et habitats familiers (hérisson et mares p. ex.) montrent également des signes de dégradation. Afin d’avoir une vision exhaustive des pressions exercées sur les milieux et de l’état de la biodiversité, il est donc indispensable d’analyser d’autres types d’indicateurs, tels que ceux repris dans les paragraphes suivants.
Pressions sur les milieux et leurs conséquences
Milieux forestiers : entre intervention humaine et naturalité
Couvrant près d’⅓ du territoire, les milieux forestiers constituent des écosystèmes majeurs en Wallonie. Ces milieux de grande importance pour la biodiversité ont fait l’objet ces derniers siècles de transformations plus ou moins profondes. À l’origine, la forêt wallonne était constituée de peuplements feuillus, de zones en régénération (jeunes peuplements) et de zones ouvertes (clairières…). L’évolution des besoins de la société, des pratiques et des choix sylvicoles a, au fil du temps, transformé les milieux forestiers, tant au niveau de leur composition que de leur structure. Les essences résineuses (à croissance rapide et permettant la valorisation de terrains pauvres) se sont progressivement imposées pour constituer actuellement 42 % de la forêt productive wallonne. La composition des peuplements forestiers s’est vue de ce fait fortement simplifiée : en 2018, 57 % d’entre eux n’étaient composés que d’une ou deux essences différentes. Les peuplements à structure irrégulière ou à plusieurs étages ont perdu du terrain, étant progressivement convertis en futaies[5] régulières, majoritairement résineuses, de telles formations permettant de maximiser la production et faciliter l’exploitation. Le mode d’exploitation qui y est pratiqué le plus souvent est la coupe à blanc, ou coupe rase, qui permet une extraction plus facile et un haut rendement, mais qui impacte drastiquement le milieu : modification brutale de l’écosystème, perturbation de la faune et de la flore, compaction et dégradation des sols, érosion… Dans ce contexte de simplification de l’écosystème forestier, la quantité de gros arbres, d’arbres dépérissants et d’arbres morts a diminué. Il s’agit pourtant d’éléments importants pour de nombreuses espèces forestières de champignons, d’insectes, d’oiseaux, de chauves-souris et de petits mammifères. En 2018, près de 78 % des forêts feuillues inventoriées ne contenaient aucun arbre vivant de diamètre important (plus de 240 cm de circonférence pour le chêne ou plus de 220 cm pour le hêtre p. ex.) alors qu’il est recommandé d’en avoir au moins 1 tous les 2 ha ; le volume de bois mort en forêt s’élevait en moyenne à 10 m³/ha (30 m³/ha serait le volume minimal idéal(b)) et on dénombrait 0,65 arbre mort/ha en forêt publique (il est recommandé d’en avoir 2/ha).
Alors que les milieux forestiers et les milieux adjacents étaient par le passé relativement imbriqués dans le paysage rural, formant des lisières continues et étagées protégeant les peuplements contre vents et maladies et constituant des habitats favorables pour de nombreuses espèces, l’intensification des pratiques d’exploitation, sylvicole mais agricole également, ainsi que le morcellement des propriétés ont transformé une grande part des lisières en jonctions plus abruptes nettement moins accueillantes d’un point de vue écologique.
De ces diverses transformations du milieu forestier, il résulte une réduction de la superficie des forêts anciennes. La persistance d’une forêt, même exploitée, permet la préservation d’un riche patrimoine biologique : graines en dormance dans le sol, espèces à longue durée de vie comme les lichens ou les champignons, espèces à faible capacité de dispersion comme les plantes ou certains insectes... Depuis la fin du 18ème siècle, 30 % des massifs forestiers feuillus wallons ont été déboisés pour l’agriculture et 26 % ont été transformés en plantations de résineux. Seuls 44 % des massifs ont été relativement épargnés par les transformations anthropiques et sont restés continuellement boisés, quel que soit le mode de sylviculture pratiqué(c).
Les milieux forestiers subissent également la pression des ongulés sauvages tels que sangliers, cerfs et chevreuils dont les populations ont fortement augmenté ces dernières décennies. Bien que les ongulés jouent un rôle bénéfique pour la forêt (dispersion des graines ou création de petits milieux ouverts), leur surpopulation a des répercussions importantes sur l’écosystème forestier : altération des habitats, obstacles à la régénération naturelle des peuplements et dégâts directs aux arbres, ou, pour ce qui concerne les seuls sangliers, prédation sur les insectes, les amphibiens, les reptiles et les oiseaux, et compétition pour les proies. Entre 2008 et 2015, 21 % des peuplements ont subi des dégâts occasionnés par les ongulés sauvages.
Dans le contexte actuel des changements climatiques, la forêt wallonne souffre également de phénomènes de stress et de dépérissement dégradant son état sanitaire général. En 2020, une défoliation anormale, soit une perte de plus de 40 % du feuillage de l’arbre, a été observée pour 25 % des feuillus et 60 % des résineux. Les facteurs influençant l’état sanitaire des forêts sont multiples : épisodes climatiques extrêmes (chaleur, sécheresse ou excès d'eau, vent), développement d’insectes ravageurs comme les scolytes et les chenilles défoliatrices ou d’organismes pathogènes, intensité de fructification, pollution atmosphérique, pauvreté naturelle en nutriments de certains sols ou inadéquation des essences plantées par rapport aux conditions de la station forestière.
Suite à l’évolution des habitats forestiers, de nombreuses espèces ont subi un fort déclin ces dernières décennies. Selon les groupes, on estime qu’entre 20 et 75 % des espèces forestières ont connu une importante contraction de leur aire de distribution au cours du dernier siècle(d). En ce qui concerne les oiseaux, les effectifs des populations d’oiseaux communs[6] strictement associés aux milieux forestiers ont montré une diminution globale de 22 % entre 1990 et 2020.
Milieux agricoles : intensification des pratiques et simplification des paysages
Composante majeure du territoire, les milieux agricoles recouvrent presque la moitié de la Wallonie. Pendant des siècles, les pratiques agricoles traditionnelles dites de subsistance (fauchage, pâturage extensif, polyculture couplée à un élevage majoritairement ovin…) ont petit à petit façonné une mosaïque de milieux : prairies sèches ou humides pâturées ou non, champs cultivés, bocages, vergers… De petits éléments naturels ponctuaient le paysage tels que les haies, les arbres isolés, les mares, les talus et les creux de chemin. Un large éventail d’espèces animales et végétales se sont adaptées à ces habitats. Dans les champs cultivés parsemés de plantes messicoles (coquelicot ou nielle des blés), se sont spécialisés l’alouette des champs, le bruant proyer, les perdrix, le lièvre ou le campagnol. Dans les prairies sèches ou humides, autour des nombreuses espèces herbacées (centaurée, bistorte ou orchidées) attirant papillons et libellules, se sont développés le râle des genêts, le tarier des prés, le grand rhinolophe ou les musaraignes. Les bocages et vergers ont quant à eux accueilli la pie-grièche écorcheur, la chouette effraie, la vipère péliade ou l’hermine. Les mares, talus et autres éléments ont favorisé plus encore la présence de tritons, salamandres ou couleuvres.
À partir des années '60, la recherche d’une productivité plus importante a fait évoluer les pratiques et transformé les milieux agricoles. La spécialisation croissante par le passage d’un système de polyculture aux monocultures ainsi que l’intensification de la mécanisation ont entrainé la simplification des milieux, l’agrandissement des parcelles agricoles et la perte des éléments structurants du paysage tels que les haies, mares ou bosquets. À titre d’exemple, dans certaines régions du Hainaut ou du Brabant wallon autrefois riches en mares, plus de 80 % des mares figurant sur des cartes IGN publiées dans les années '80 ont disparu(e). Progressivement, les prairies permanentes[7] ont également perdu du terrain. Leur superficie a régressé de 22 % entre 1980 et 2019. Elles souffrent par ailleurs du surpâturage quand la pression de broutage et de piétinement du bétail est trop importante, ce qui met à mal la régénération du tapis herbacé et diminue la diversité végétale. Le passage d’une agriculture extensive à une agriculture plus intensive a entrainé l’utilisation d’engrais et de pesticides aux effets néfastes sur les milieux naturels et les chaines alimentaires. La mécanisation du travail du sol a provoqué leur compaction, contribuant ainsi à l’érosion.
Ces évolutions ont affecté l’ensemble de la faune et de la flore liées aux milieux agricoles. Alors qu’il s’agissait d’espèces répandues et abondantes au début du 20ème siècle, 75 des 119 espèces de fleurs messicoles connues en Wallonie, soit environ 60 % d'entre elles, sont à présent menacées ou ont disparu(f), ce qui a des répercussions sur les populations d’abeilles sauvages dont 30 % des espèces sont considérées comme menacées en Belgique(g). Or celles-ci assurent la reproduction par pollinisation d’environ 75 % des espèces de plantes de nos régions, cultures y compris(h). Autre régression spectaculaire, les populations d’oiseaux communs strictement associés aux milieux agricoles ont perdu plus de la moitié de leurs effectifs (- 60 %) entre 1990 et 2020. Ce déclin concerne tout autant les espèces liées aux grandes cultures que les espèces associées aux prairies. Parmi ces oiseaux agricoles, le bruant proyer, la tourterelle des bois et la perdrix grise ont subi les déclins les plus alarmants : leurs populations ont diminué respectivement de 99 %, 95 % et 92 % sur ces 30 années.
Milieux ouverts : un patrimoine naturel rare et menacé
D’origine naturelle et parfois modelés par des pratiques agricoles ancestrales, les milieux ouverts semi-naturels qui subsistent en Wallonie occupent de faibles superficies. Ces milieux particulièrement riches en biodiversité ont subi une forte contraction de leurs surfaces et sont menacés par leur isolement. Façonnés par les anciennes pratiques pastorales, les landes, fourrés, pelouses calcaires ou nardaies sont des milieux riches de nombreuses espèces végétales (hélianthèmes, orchidées ou gentianes) et animales (papillons tels que le damier de la succise ou l’argus brun). Dès la fin du 18ème siècle, l’abandon du pastoralisme a entrainé l’enfrichement puis le reboisement spontané et la disparition drastique de ces milieux (pour certains types, perte de plus de 99 % de la surface historiquement connue(i)), provoquant la régression des espèces typiques. Autres types d’habitats ouverts de grand intérêt biologique, les milieux tourbeux des hauts-plateaux ardennais sont le résultat de la conjonction de conditions écologiques et climatiques particulières (altitude, imperméabilité du sol, températures basses, pluies abondantes). Ils abritent des espèces emblématiques comme le très menacé tétras-lyre ainsi qu’une flore et une faune typiques de ces milieux (sphaignes, bruyères ou linaigrettes, papillons comme le nacré de la canneberge ou libellules comme l’aeschne subarctique). Les milieux tourbeux ont été exploités dès le 15ème siècle : extraction de la tourbe, drainage et, plus tard, plantation d’épicéas. Il persiste actuellement sur les plateaux des Hautes Fagnes et des Tailles 120 ha de tourbières hautes intactes, contre 2 000 ha il y a mille ans.
Ces dernières décennies, l’artificialisation, la transformation en prairies gérées de façon intensive, le boisement et l’extension d’espèces exotiques envahissantes sont autant de pressions qui ont affecté et affectent encore ces milieux ouverts. En outre, étant naturellement pauvres en éléments minéraux et nutritifs, ces milieux restent très sensibles aux retombées atmosphériques de polluants azotés issus principalement de l’activité agricole (volatilisation à partir des effluents d’élevage). Lorsqu’ils sont en excès, ces dépôts azotés provoquent sur ces milieux des déséquilibres qui conduisent à la régression et à la disparition de certaines espèces végétales. En 2015, 95 % des milieux ouverts étaient encore impactés par un excès de retombées azotées.
Milieux aquatiques : pollution de l’eau et altération des cours d’eau et habitats associés
Les milieux aquatiques tels que les zones humides, les plans d’eau et les cours d’eau constituent des milieux essentiels pour de nombreux organismes aussi bien aquatiques que terrestres. Les zones humides et plans d’eau se sont raréfiés au cours du 20ème siècle, suite à leur assèchement, au drainage, à l’exploitation des fonds de vallée, au comblement ou à l’envahissement progressif par la végétation. Outre leur importance pour la biodiversité, ces milieux jouent un rôle dans la purification de l’eau et dans le fonctionnement des régimes hydrologiques à plus large échelle (régulation des eaux lors de fortes pluies). Une partie des cours d’eau wallons ont également subi des transformations pour permettre ou faciliter certains usages comme la navigation et gérer les crues et inondations. Les aménagements tels que canalisation des cours d’eau, endiguement des berges, construction de barrages, simplification des tracés ou drainage des zones inondables adjacentes ont modifié la morphologie des cours d’eau et les ont fragmentés et artificialisés, avec des conséquences directes sur la distribution des communautés animales et végétales. En 2018, 40 % des masses d’eau de surface présentaient une morphologie de qualité moyenne à mauvaise. En ce qui concerne la qualité de l’eau, les cours d’eau wallons sont affectés par des pollutions diverses : matières organiques, azote ou phosphore en excès, micropolluants tels que les éléments traces métalliques ou les pesticides. Ces pollutions sont issues de l’agriculture, de l’industrie ou des ménages. À titre d’exemple, on constatait en 2018 sur 39 % des sites de contrôle une eutrophisation des eaux, c’est-à-dire un apport excessif d’éléments nutritifs (phosphates des engrais p. ex.) entrainant une prolifération végétale qui induit un appauvrissement de l’eau en oxygène, nocif pour les organismes aquatiques. L’état de la flore et de la faune aquatiques (microalgues, plantes aquatiques, invertébrés, poissons), autrement dit l’état biologique du cours d’eau, est directement tributaire de la qualité de l’eau et de la morphologie du cours d’eau. En 2018, l’état biologique était moyen à mauvais pour 50 % des masses d’eau de surface, ce qui signifie que les perturbations de ces masses d’eau empêchent le milieu aquatique de répondre aux exigences de toutes les espèces qui sont censées y évoluer naturellement. À noter que les changements climatiques, en particulier les épisodes de sécheresse et les vagues de chaleur, aggravent la situation tant en ce qui concerne la disponibilité d'habitats que la qualité de l'eau.
Milieux artificialisés : perte d’habitats et de connexions écologiques
La Wallonie est une région densément peuplée. La demande en logement a été le principal moteur de l’artificialisation progressive du territoire et ce, principalement au détriment des terrains agricoles. En 2020, les surfaces artificialisées[8] couvraient au minimum 11 % du territoire (maximum 16 %), soit 44 % de plus qu’en 1985. Cette artificialisation induite par la construction de logements, de bâtiments commerciaux, de zonings industriels et de réseaux de transport a de multiples conséquences sur la biodiversité. L’artificialisation provoque la disparition de milieux propices à la faune et la flore ainsi que leur fragmentation. Par la rupture des continuités écologiques qu’elle provoque, la fragmentation des milieux naturels a pour effet d’isoler les populations animales et végétales, ce qui entraine un appauvrissement génétique des populations et augmente leur probabilité d’extinction. Il faut souligner qu’à côté de la fragmentation, les réseaux de transport ont des impacts en termes de mortalité directe ou liés à la pollution lumineuse. En effet, l’éclairage nocturne des routes occasionne diverses nuisances pour de nombreuses espèces d’insectes, d’amphibiens ou de chauves-souris, comme des troubles de l’orientation ou la perturbation des rythmes biologiques en modifiant les périodes de recherche de nourriture par exemple. Avec un peu plus de 4 800 km de routes et autoroutes pour 1 000 km², la Wallonie présente une densité du réseau routier 4 fois supérieure à celle du réseau européen. Les milieux artificialisés (qui incluent les jardins p. ex.) ne sont toutefois pas dénués de biodiversité : leur potentiel d’accueil peut être optimisé par la mise en œuvre de certains aménagements favorables.
Espèces exotiques envahissantes : une pression croissante sur tous les milieux en Wallonie
Déplacées en dehors de leur aire de distribution naturelle, des espèces exotiques ont été et continuent d’être introduites en Wallonie, accidentellement ou non, par le biais des échanges commerciaux et de la circulation internationale. Près de 1 500 espèces exotiques sont connues à ce jour sur le territoire wallon, parmi lesquelles ⅓ sont considérées comme établies, c’est-à-dire capables de maintenir des populations durables. Une partie de ces espèces se révèlent envahissantes, n’étant plus régulées par leurs prédateurs naturels ou par les pathogènes et parasites auxquels elles font face dans leur région d’origine. Elles peuvent occasionner des dommages socioéconomiques (dégâts aux digues dus aux terriers des rats musqués p. ex.), sanitaires (brûlures occasionnées par la sève de la berce du Caucase p. ex.), mais surtout environnementaux, impactant les espèces indigènes et le fonctionnement des écosystèmes. Les exemples sont nombreux : étouffement des milieux aquatiques par l’hydrocotyle fausse-renoncule ou la jussie à grandes fleurs, envahissement de milieux ouverts par les massifs denses de la renouée du Japon, compétition des écrevisses nord-américaines avec l’écrevisse indigène ou prédation du raton-laveur sur de nombreuses espèces protégées de mollusques aquatiques, d’amphibiens, de reptiles ou d’oiseaux. De façon générale, les milieux perturbés, pollués ou transformés par l’action de l’homme sont davantage colonisés par les espèces exotiques envahissantes. En Wallonie, le degré d’invasion est en effet globalement plus important au nord du sillon Sambre-et-Meuse, plus artificialisé que le sud. Les axes des réseaux de transport (routes, rail, voies d’eau) servent également de couloirs de dispersion. Toutefois, les habitats naturels ne sont pas épargnés et les espèces exotiques envahissantes exercent une pression sur de nombreux habitats semi-naturels, en particulier les milieux aquatiques et rivulaires. Il est établi que les espèces exotiques envahissantes constituent une menace modérée à élevée pour 45 % des habitats d’intérêt communautaire ; le niveau de menace sur les espèces d’intérêt communautaire n’a pas encore été estimé.
Mesures mises en place et principaux résultats
De la protection et restauration de sites naturels à la mise en place d’actions plus ponctuelles, diverses mesures ont été prises en Wallonie pour stopper le déclin de la biodiversité, objectif inscrit de longue date dans de nombreux engagements internationaux. Voici un aperçu des principales mesures prises et de quelques résultats observés.
Protection et restauration des habitats et espèces
Depuis la fin des années '60, la mise sous statuts de protection de sites naturels permet de leur octroyer une protection forte. Ces statuts particuliers (réserve naturelle domaniale ou agréée, réserve forestière, zone humide d’intérêt biologique, cavité souterraine d’intérêt scientifique et réserve intégrale en forêt) confèrent un régime strict de protection à ces sites où la conservation de la nature est la vocation prioritaire. Des mesures de gestion conservatoire (fauche ou pâturage extensif dans les milieux ouverts p. ex.) peuvent être établies pour ces sites naturels protégés, qui couvraient 1,3 % de la Wallonie fin 2020. À noter cependant que, selon les objectifs de la Stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, 10 % du territoire devraient être sous statuts de protection forte.
Autre type de protection, le réseau Natura 2000 vise à assurer, en conciliation avec les activités humaines, la survie à long terme des espèces et habitats d’intérêt communautaire en application des directives "Oiseaux" et "Habitats-Faune-Flore". Le statut Natura 2000 a été octroyé en Wallonie à 240 sites pour une superficie équivalant à 13 % du territoire. Ces sites bénéficient de mesures générales de protection (actes interdits ou soumis à autorisation ou à notification). Des plans de gestion ont en outre été adoptés pour chacun de ces sites. Ces plans de gestion sont non contraignants et proposent une série d’actions à réaliser par le propriétaire sur base volontaire. Il peut s’agir par exemple du creusement de mares ou de la coupe de résineux dans des milieux tels que les tourbières ou les landes.
Afin d’envisager la restauration des espèces et habitats d’intérêt communautaire à plus large échelle, certains d’entre eux font en outre l’objet de plans d’action qui définissent les mesures à prendre également en dehors du réseau Natura 2000.
Enfin, des projets LIFE cofinancés par l’Europe sont menés depuis 1994, ciblant en particulier des espèces et habitats d’intérêt communautaire tels que la loutre ou la moule perlière et les pelouses calcaires ou les milieux tourbeux. S’agissant de ces derniers, 730 ha ont été restaurés de 2002 à 2020 et 1 080 mares ont été creusées.
Adoption des liaisons écologiques
Protéger et restaurer des ilots de biodiversité ne suffit pas. Il est fondamental de créer et préserver des connexions naturelles entre ces zones protégées afin d’assurer un maillage écologique du territoire et permettre ainsi un brassage génétique des populations pour les maintenir en bonne santé. C’est l’idée du réseau écologique, pour lequel une proposition de cartographie théorique, la structure écologique principale, existe depuis de nombreuses années en Wallonie. Le Gouvernement wallon a procédé à une première étape dans la reconnaissance d’un tel réseau en adoptant les "liaisons écologiques". Il s’agit d’axes de dispersion potentielle pour la faune et la flore, définis notamment sur base de la trame des massifs forestiers feuillus ou des plaines alluviales, visant à garantir aux espèces animales et végétales des espaces de transition entre leurs biotopes. Le Gouvernement wallon s’est engagé à préserver ces liaisons écologiques et à y limiter toute fragmentation ou artificialisation supplémentaire du territoire.
Milieux forestiers : vers une gestion durable et multifonctionnelle
À l’origine essentiellement axé sur l’aspect économique de la forêt, le Code forestier wallon a été révisé en 2008 afin de renforcer la fonction environnementale de la forêt au travers des objectifs suivants : lutte contre le réchauffement climatique, sauvegarde de la biodiversité, lutte contre le morcellement et diversification des forêts. Il promeut depuis une forêt d’essences mélangées et d’âges multiples et fixe des mesures favorables à la biodiversité : choix d’essences adaptées aux conditions locales, limitation des coupes à blanc ou du drainage, interdiction d’utilisation de pesticides ou encore, pour les forêts publiques, maintien d’arbres morts, d’arbres de dimensions exceptionnelles ou d’arbres à cavités. Une autre avancée liée à la révision du Code forestier concerne les forêts anciennes : en forêt publique, elles doivent à présent bénéficier d’une vocation prioritaire de conservation afin de préserver les faciès caractéristiques, rares ou sensibles. Par ailleurs, 27 % des surfaces forestières wallonnes sont incluses dans le réseau Natura 2000 (constituant 70 % de celui-ci) et devraient dès lors faire l’objet d’une gestion durable et multifonctionnelle. L’augmentation des populations de chauves-souris observée ces dernières années pourrait être en relation avec ces évolutions positives, de nombreuses espèces de chauves-souris étant en effet liées aux milieux forestiers. Ces populations ont triplé entre 1995 et 2016. À noter toutefois que les effectifs totaux restent faibles et fort éloignés de ceux qui étaient observés dans les années '50.
Milieux agricoles : divers soutiens pour la prise en compte de la biodiversité
Promouvoir la biodiversité en milieu agricole est essentiel compte tenu de l’étendue de ces milieux et du fait qu’ils constituent les habitats typiques de très nombreuses espèces animales et végétales. L’implication des agriculteurs permet la gestion du riche patrimoine de ces milieux. Des mécanismes de soutien au développement de pratiques agricoles favorables à la biodiversité ont été mis en place en Wallonie. Les agriculteurs peuvent bénéficier d’une aide financière pour la mise en œuvre volontaire de méthodes agroenvironnementales et climatiques (MAEC) favorables à la conservation et l’amélioration de l’environnement (plantation de haies, installation de bandes aménagées à fleurs…). En 2020, le taux de participation des producteurs à au moins une MAEC s’élevait à 46 %. Ces MAEC sont à l’origine de réussites locales, comme par exemple une augmentation de populations du tarier des prés suite à l’application de méthodes ciblées. Pour les terres agricoles situées dans le réseau Natura 2000, un soutien financier et des avantages fiscaux sont accordés aux agriculteurs sous réserve du respect de mesures de gestion favorables au maintien des habitats et espèces ciblées. Cela concernait 5,5 % de la superficie agricole utilisée (SAU) en 2017. À noter enfin que 15 % des exploitations wallonnes étaient converties à l’agriculture bio en 2020, ce qui représente 12 % de la SAU, et étaient tenues, de ce fait, au respect de modes de production à moindre pression (exclusion des pesticides p. ex.).
Dans la Stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, il est considéré comme urgent qu’au moins 10 % de la surface agricole consiste en des particularités topographiques à haute diversité biologique : bandes tampons, terres en jachère, haies, arbres non productifs, mares... Les États membres doivent traduire cet objectif de 10 % en veillant à garantir la connectivité entre les habitats. Une récente étude(j) fondée sur la littérature de référence pour des contextes écologiques analogues à celui de la Wallonie va dans le même sens et précise que la superficie soutenant la biodiversité (SSB), à laquelle contribue une part des superficies sous MAEC et Natura 2000, devrait atteindre minimum 10 % des superficies sous cultures et 15 % des superficies sous prairies permanentes pour assurer la conservation des espèces et habitats naturels et fournir un soutien aux équilibres agroécologiques favorisant la production agricole. En 2020, ces besoins minimums n’étaient pas rencontrés puisque la SSB estimée atteignait 1,5 à 2 % des superficies sous cultures et près de 11 % des superficies sous prairies permanentes. À ce critère quantitatif s'ajoute un critère de répartition : il est essentiel que les éléments constitutifs de la SSB forment un maillage partout sur le territoire.
Milieux aquatiques : des mesures sectorielles en faveur de l’eau
Afin d’améliorer l’état des masses d’eau, les Plans de gestion des districts hydrographiques (PGDH) prévoient une panoplie de mesures. Elles concernent l’assainissement des eaux usées, la réduction des rejets industriels, la diminution des pressions liées à l’agriculture ou l’amélioration de la morphologie des cours d’eau. En matière d’agriculture, il peut s’agir de l’interdiction de l’accès du bétail aux cours d’eau, de la mise en œuvre des mesures prévues dans le Programme wallon de réduction des pesticides (PWRP) ou dans le Programme de gestion durable de l’azote en agriculture (PGDA), ou encore de la lutte contre l’érosion des sols et l’apport de sédiments aux cours d’eau. Les mesures de restauration de la morphologie des cours d’eau, comme la levée d’obstacles à la libre circulation des poissons ou la réhabilitation des méandres, ont certainement joué un rôle non négligeable dans le succès progressif du programme de réintroduction du saumon atlantique dans le bassin mosan. Les premières remontées de saumons adultes vers les frayères ont été observées en 2002. À noter qu’au-delà de la levée des obstacles physiques, le retour des poissons migrateurs et, plus globalement, l’état de la faune et de la flore aquatiques, dépendent de la qualité de l’eau et de l’état de conservation global des habitats aquatiques (cours d’eau, milieux humides associés et milieux d’eaux stagnantes) pour lesquels des progrès doivent encore être faits.
Prise en compte de la nature au cœur des activités humaines
Pour soutenir la biodiversité en dehors des zones protégées et au sein des zones de nature plus ordinaire, divers programmes sont mis en œuvre avec le soutien financier du Service public de Wallonie (SPW) par une série d’acteurs (communes, entreprises, écoles, particuliers, contrats de rivière…). La plantation de haies ou d’arbres, l’installation de zones mellifères comme des vergers ou des prés fleuris, l’aménagement de mares, la gestion raisonnée des bords de routes ou encore la restauration de berges sont autant de réalisations qui favorisent le maintien d’une biodiversité plus ordinaire mais non moins importante au cœur des activités humaines. Concernant les communes, à titre d’exemple, en 2019, 35 % d’entre elles avaient élaboré un Plan communal de développement de la nature en concertation avec les acteurs locaux, 90 % étaient partenaires d’un contrat de rivière et 88 % participaient à l’opération de fauchage tardif des bords de routes. Concernant les entreprises, des chartes sectorielles sont signées entre le Service public de Wallonie et les fédérations de secteurs industriels intéressés dans le but d’augmenter la capacité d’accueil de la biodiversité au sein des sites concernés. C'est le cas par exemple pour le secteur carrier.
Contrôle des espèces exotiques envahissantes
Certaines espèces exotiques envahissantes sont considérées comme préoccupantes par l’Union européenne. Pour ces espèces, les États membres sont tenus de mettre en place des mesures efficaces de prévention et de gestion. En Wallonie, 27 des 66 espèces concernées sont implantées parmi lesquelles les espèces les plus répandues et les plus dommageables à l’heure actuelle sont l’ailante glanduleux, la berce du Caucase, le frelon asiatique, le rat musqué et le raton laveur. Des objectifs de lutte ont été définis pour chacune de ces espèces (éradication, confinement ou atténuation), des plans de lutte coordonnés ont été établis et des chantiers de gestion ont été mis en œuvre pour certaines d’entre elles qui sont encore maitrisables. Ces chantiers ont principalement ciblé des espèces végétales comme la balsamine de l'Himalaya, la berce du Caucase, le faux-arum ou l’hydrocotyle fausse-renoncule, mais aussi des espèces animales comme le rat musqué ou le frelon asiatique. Des résultats encourageants ont été obtenus quand suffisamment de moyens ont été investis dans la lutte, comme pour la berce du Caucase, l’hydrocotyle fausse-renoncule et le rat musqué par exemple. La mobilisation de moyens additionnels est en cours de discussion pour endiguer le phénomène et limiter les impacts de ces espèces sur la biodiversité wallonne.
Objectifs à suivre et défis à relever
Les améliorations significatives observées localement ou pour certains groupes d’espèces ou types d’habitats montrent qu’il est possible d’inverser la tendance à l’érosion de la biodiversité en Wallonie. Mais les défis restent de taille. La restauration et la préservation de la biodiversité reposent principalement sur trois axes : (1) la mise sous statut de protection de sites naturels et leur gestion active, (2) la prise en compte de la nature dans les activités humaines sur l’ensemble du territoire et (3) la surveillance de l’état de la biodiversité.
Mise sous statut de protection et gestion de sites naturels
La plus grande part du territoire wallon ne bénéficie actuellement d’aucun statut de protection. Dans ce contexte, il convient de renforcer les aires protégées. Tel est l’un des objectifs fixés dans la Déclaration de politique régionale 2019 - 2024 qui prévoit la reconnaissance d’environ 1 000 ha de nouvelles réserves naturelles par an. Dans la foulée de l’adoption des liaisons écologiques, le Gouvernement entend également octroyer une valeur légale à l’ensemble du réseau écologique en Wallonie, matérialisé par la structure écologique principale. Celle-ci reprend, en plus des sites naturels protégés et des sites Natura 2000, d’autres sites dits de grand intérêt biologique qui ne font encore l’objet d’aucun statut de protection et sont parfois affectés en zone urbanisable, donc menacés de disparition.
Au-delà de l’octroi d’un statut de protection, c’est réellement la restauration pratiquée au sein des espaces protégés qui fait progresser la biodiversité. Une gestion active des sites naturels protégés et du réseau Natura 2000 est donc essentielle, en particulier dans les milieux ouverts et les milieux aquatiques. À ce sujet, des efforts sont encore à fournir, afin notamment d’organiser cette gestion de façon coordonnée et d’assurer la pérennité des restaurations. Le Gouvernement wallon s’est engagé, pour les espèces et habitats d’intérêt communautaire, à rétablir les niveaux de populations des espèces et améliorer la qualité des habitats d’ici à 2025 et dans les sites Natura 2000. Pour atteindre cet objectif, il sera fondamental d’œuvrer également en dehors du réseau Natura 2000 dans la mesure où l’état de conservation est évalué à l’échelle du territoire.
Prise en compte de la nature dans les activités humaines sur l’ensemble du territoire
La plus grande part du territoire wallon est utilisée par l’homme pour divers usages (sylviculture, agriculture, industries, logements…) qui exercent des pressions sur les milieux. La prise en compte de la biodiversité au sein de ces activités et sur l’ensemble du territoire est primordiale.
En ce qui concerne l’activité sylvicole, il convient de poursuivre la transition vers une forêt d’essences mélangées et d’âges multiples en veillant au caractère durable des forêts, de maintenir des arbres de dimension importante et du bois mort et de diminuer la pression exercée sur les sols via les engins forestiers. Il est par ailleurs impératif de résoudre le problème des surdensités d’ongulés sauvages dont l’impact sur la régénération naturelle des peuplements et les plantations ainsi que sur la flore et la faune forestières reste considérable. La régulation de la faune sauvage est, en Wallonie, principalement déléguée par le législateur aux chasseurs. Force est de constater que la gestion pratiquée ne permet pas d’atteindre l’objectif de réduction des populations. En cause notamment la variabilité des mesures mises en place au fil des législatures, particulièrement en ce qui concerne l’interdiction du nourrissage ou des clôtures en forêt, et le faible montant des amendes en cas de non-réalisation des plans de tir. À l’image de ce qui a été fait pour le Code forestier, il conviendrait de réviser la Loi sur la chasse dont la promulgation remonte à 1882, afin de l’inscrire dans un contexte de gestion durable.
En matière agricole, pour obtenir des effets mesurables à l’échelle régionale, une proportion plus importante de superficies sous MAEC et une meilleure répartition de celles-ci dans le paysage agricole seraient nécessaires, tout comme la poursuite du développement de MAEC ciblées, adaptées aux exigences écologiques des espèces agricoles les plus menacées. Mais cette implication des agriculteurs restera tributaire notamment de la disponibilité des aides qui leur sont accordées, de l’attractivité de ces rémunérations, de la facilité de mise en œuvre et de la clarté des modalités de contrôle. En outre, il convient d’augmenter les superficies gérées de façon moins intensive ainsi que les superficies en agriculture bio qui doivent, selon le Plan de développement de la production biologique en Wallonie, atteindre 30 % de la SAU wallonne à l’horizon 2030. Plus généralement, il est essentiel d’amorcer la transition vers d'autres modes de production (agroécologie[9], agroforesterie[10], autonomie fourragère…).
Concernant les autres secteurs d’activités, il est impératif de poursuivre la prise en compte de la biodiversité partout où c’est possible. Une stratégie wallonne en faveur de la biodiversité (Stratégie biodiversité 360°) est en cours d’élaboration. Elle vise notamment l’intégration transversale de la biodiversité dans toutes les politiques sectorielles.
À l’échelle du territoire entier, il est fondamental de stopper l’artificialisation. En adoptant le Schéma de développement du territoire en 2019, dont la date d’entrée en vigueur reste à déterminer, le Gouvernement wallon s’est engagé à stopper toute augmentation nette de la surface artificialisée à l’horizon 2050, en concordance avec l’objectif européen "no net land take". En outre, la végétalisation des zones artificialisées est à rechercher pour bénéficier de ses effets positifs sur la biodiversité et sur l’environnement au sens large : amélioration de la qualité de l’air ou régulation de la température en été par exemple.
Surveillance de l’état de la biodiversité
L’atteinte des objectifs en matière de biodiversité (dont certains sont repris dans le Plan de relance de la Wallonie) nécessite une bonne connaissance de l’état du patrimoine naturel wallon et un suivi pérenne afin d’assurer la pertinence et l’efficacité des mesures appliquées. Le niveau de connaissance sur la biodiversité wallonne s’étoffe progressivement mais il persiste des lacunes qui doivent être comblées par l’octroi de moyens suffisants à la recherche et au monitoring. À noter également qu’il est impératif de contrôler efficacement les infractions environnementales et d’assurer le suivi de leur réparation, ce qui passe également par une amélioration des ressources budgétaires et humaines. Enfin, il est impératif d’organiser le suivi de la mise en œuvre des mesures prises et d’assurer la continuité dans le temps de ces mesures, indépendamment des législatures.
[1] Au niveau européen, toutes les espèces d’oiseaux vivant sur le territoire européen sont concernées (plus de 500 espèces).
[2] Sur un total de 1 389 espèces concernées au niveau européen
[3] Sur un total de 233 types d’habitats concernés au niveau européen
[4] Une région biogéographique désigne une zone géographique climatiquement et écologiquement relativement homogène.
[5] Forêts composées de grands arbres adultes issus de semis et ayant le même âge
[6] Les espèces d’oiseaux dits communs sont les espèces d’oiseaux nicheurs les plus répandues. Ces espèces font l’objet d’un suivi annuel.
[7] Au contraire de la prairie temporaire qui est mise en rotation culturale, donc implantée en général pour moins de cinq ans, la prairie permanente est une surface laissée toujours en herbe et caractérisée par l’absence d’un travail du sol. La richesse en espèces végétales y est plus importante.
[8] Surfaces retirées de leur état naturel, forestier ou agricole, qu’elles soient bâties ou non et qu’elles soient revêtues ou non
[9] Système de production agricole visant une baisse des pressions en valorisant au mieux la diversité biologique et les processus naturels (cycles de l’azote, du carbone, de l’eau, équilibres biologiques entre organismes ravageurs et auxiliaires des cultures…)
[10] Association d'arbres et de cultures ou d'animaux sur une même parcelle
Références
(a) Paquet J-Y & Derouaux A, 2020. Le rapportage Natura 2000. L’avifaune en Wallonie : 40 ans de changements marqués. Carnets des espaces naturels, 4, 20-22. q
(b) Müller J & Bütler R, 2010. A review of habitat thresholds for dead wood : a baseline for management recommendations in European forests. European Journal of Forest Research, 129, 981-992. q
(c) Kervyn T, Scohy J-P, Marchal D, Collette O, Hardy B, Delahaye L, Wibail L, Jacquemin F, Dufrêne M, Claessens H, 2018. La gestion patrimoniale des forêts anciennes de Wallonie. Forêt.Nature, 148, 30-42. q
(d) SPW - DGO3, 2010. Normes de gestion pour favoriser la biodiversité dans les bois soumis au régime forestier (complément à la circulaire n°2619 du 22/09/1997 relative aux aménagements dans les bois soumis au régime forestier). SPW - DGO3 : Jambes, Belgique. q
(e) aCREA-ULg, 2009. Élaboration d’un référentiel et de documents de vulgarisation sur les mares agricoles. Partie 1. Descriptif et caractérisation des mares agricoles en Région wallonne. Rapport final. Étude réalisée pour le compte du MRW - DGA. q
(f) Legast M, Mahy G, Bodson B, 2008. Agrinature n°1. Les messicoles. Fleurs des moissons. MRW - DGA : Namur, Belgique. q
(g) Drossart M, Rasmont P, Vanormelingen P, Dufrêne M, Folschweiller M, Pauly A, Vereecken NJ, Vray S, Zambra E, D’Haeseleer J, Michez D, 2019. Belgian Red List of bees. Étude réalisée pour le compte de BELSPO (Belgian Science Policy). Presse universitaire de l’Université de Mons : Mons, Belgique. q
(h) Gallai N, Salles J-M, Settele J, Vaissière BE, 2009. Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator decline. Ecological Economics, 68, 3, 810-821. q
(i) Wibail L, Goffart P, Smits Q, Delescaille L-M, Couvreur J-M, Keulen C, Delmarche C, Gathoye J-L, Manet B, Derochette L, 2014. Évaluation de l’état de conservation des habitats et espèces Natura 2000 en Wallonie. Résultats du Rapportage Article 17 au titre de la Directive 92/43/CEE pour la période 2007 - 2012. SPW - DGO3 - DEMNA. q
(j) Walot T, 2020. Quelles superficies pour soutenir la biodiversité dans la surface agricole ? Note de travail dans le cadre du projet de Plan Stratégique Post 2020 de la Wallonie. UCL - ELIA - EVAGRI. q
Sources
Aves-Natagora ; Eurostat ; ISSeP ; IWEPS ; Natagora ; SITEREM ; SPF Finances - AGDP (base de données Bodem-Sol) ; SPW - AwAC ; SPW Environnement - DDRCB ; SPW Environnement - DEE ; SPW Environnement - DEMNA ; SPW Environnement - DNF ; Statbel (SPF Économie - DG Statistique) ; UCLouvain - ELI - ELIB ; UCLouvain - ELI - ELIE
Remerciements
Élodie BAY (SPW Environnement - DEMNA) ; Etienne BRANQUART (SPW Environnement - DEMNA) ; Luc DEROCHETTE (SPW Environnement - DEMNA) ; Antoine DEROUAUX (Natagora) ; Philippe FRANKARD (SPW Environnement - DEMNA) ; Philippe GOFFART (SPW Environnement - DEMNA) ; Thierry HANCE (UCLouvain - ELIB) ; Thierry KERVYN (SPW Environnement - DEMNA) ; Adrien LATLI (SPW Environnement - DEMNA) ; Alain LICOPPE (SPW Environnement - DEMNA) ; Grégory MOTTE (SPW Environnement - DEMNA) ; Jean-Yves PAQUET (Natagora) ; Jérémy SIMAR (SPW Environnement - DEMNA) ; Sonia VANDERHOEVEN (Plateforme belge pour la biodiversité) ; Thierri WALOT (UCLouvain - ELIB)