Sols

 

Les sols forment la couche supérieure de l’écorce terrestre. Développés pendant des millénaires par l’action lente de facteurs climatiques et biologiques sur les matériaux géologiques, ils constituent une ressource non renouvelable à l'échelle de la vie humaine. Bien qu'absolument indispensables au bon fonctionnement des écosystèmes (cycle de l’eau, cycles biogéochimiques des éléments, régulation du climat…) et à toute activité anthropique (production agricole, support physique pour toute infrastructure…), leur rôle reste souvent méconnu. En exerçant diverses pressions sur les sols, de nombreuses activités humaines ont réduit et réduisent encore leur disponibilité et leur capacité à assurer leurs fonctions. Divers processus de dégradation sont en jeu. Ils peuvent être extrêmement rapides en comparaison du temps de formation ou de régénération des sols. La mise en place de politiques de protection des sols, de réparation des dommages et de prévention des dégradations est donc essentielle.
 

Des formations complexes et diversifiées

Les sols sont un mélange de constituants minéraux (argile, limon, sable) et de matière organique (microorganismes, végétaux et animaux vivants ou morts, leurs déjections et produits de décomposition, humus), assemblés en agrégats de quelques micromètres à quelques centimètres, entre lesquels des pores fins ou larges permettent la circulation de gaz et d'eau. Les sols présentent donc une structure poreuse, dont l'aspect et les caractéristiques varient selon la forme et la disposition des agrégats. Par ailleurs, les sols ne sont pas uniformes sur toute leur profondeur. Ils présentent une succession de couches appelées horizons, résultat des processus qui ont permis leur formation à partir de la roche-mère (substrat géologique). Les sols anciens, plus épais, présentent des horizons plus nombreux que les sols jeunes.
 

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Cette structure poreuse permet la coexistence de très nombreux organismes vivants de tailles très diverses et fait des sols des réservoirs uniques de biodiversité microbienne, animale et végétale. Pour la microflore du sol (bactéries, archées, champignons et algues), le nombre d'individus par gramme de sol est de l'ordre de 1 milliard et leur biomasse de l'ordre de 3 t/ha en milieux tempérés. Pour la faune du sol (protozoaires, nématodes, acariens, collemboles, larves d'insectes, myriapodes, cloportes, vers de terre…), le nombre d'individus sur et sous 1 m2 de sol est de l'ordre de 260 millions et leur biomasse de l'ordre de 1,5 t/ha(a).
 

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Les constituants des sols, leurs proportions et les structures qu’ils forment (agrégats, horizons) varient en fonction du matériau géologique d'origine, du relief, du climat, de l'activité biologique et de l’âge des sols. Ils caractérisent le type de sol et ses propriétés, lesquels déterminent notamment les aptitudes agronomiques et forestières, avec des conséquences directes sur l’utilisation du territoire et le façonnement des paysages. Par ailleurs, l'utilisation du sol (pâturage, pratiques culturales, imperméabilisation…) modifie à son tour ces propriétés.

Les sols sont de ce fait des milieux extrêmement variés. En témoignent les plus de 6 000 unités de sols qui constituent la légende de la Carte numérique des sols de Wallonie (CNSW), classant les sols sur base notamment de leur texture (proportion relative d'argile, limon et sable), de leur drainage naturel, de la présence de tel ou tel type d'horizon et de la nature et de l'importance de la charge caillouteuse.

Pour une vue plus synthétique, la Carte des principaux types de sols de Wallonie, dérivée de la CNSW, est présentée ci-après. Cette carte répartit les sols en 17 classes sur base de la texture, du drainage naturel et de la charge caillouteuse. De manière très simplifiée, on peut distinguer en Wallonie : (i) au nord et au sud-ouest du sillon Sambre-et-Meuse (zone 1 sur la carte), des sols limoneux et sablo-limoneux fertiles consacrés aux grandes cultures essentiellement ; (ii) au nord-est (zone 2), des sols limoneux, parfois argileux, consacrés surtout aux pâturages ; (iii) dans le Condroz et en Fagne-Famenne-Calestienne (zone 3), des sols limono-caillouteux, généralement acides, épais à superficiels, affectés aux cultures, aux pâturages ou au boisement suivant leur épaisseur, leur texture, leur drainage et le relief ; (iv) en Ardenne (zone 4), des sols limoneux peu caillouteux à limono-caillouteux (schiste, phyllade, grès) acides, assez pauvres, affectés aux pâturages et au boisement principalement ; (v) sur le haut plateau des Fagnes (zone 5), des sols tourbeux ; (vi) en Lorraine belge (zone 6), des sols variés parmi lesquels des sols argileux et limono-sableux, aux aptitudes diverses.
 

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Principaux types de sols de Wallonie
(Les zones numérotées se réfèrent au texte)


À l'origine de services écosystémiques essentiels

Bien qu'on puisse lui reprocher son anthropocentrisme, une manière de rendre compte du rôle essentiel et multifonctionnel que jouent les sols est d'établir la liste des services écosystémiques qu'ils rendent, c'est-à-dire des bénéfices que les humains en tirent. Selon les catégories considérées par le Millenium Ecosystem Assessment, ces services sont essentiellement des :

  • services de support (nécessaires à tous les autres services) : formation des sols, cycle des nutriments, production primaire (ensemble de la biomasse produite par les écosystèmes), habitat et biodiversité, support physique aux infrastructures ;
  • services d'approvisionnement : production d'aliments et de fibres textiles, de vecteurs énergétiques (biomasse), de matériaux (bois, tourbe…), de ressources génétiques (sélection animale et végétale, biotechnologies), de ressources pharmaceutiques, de ressources ornementales, d'eau douce ;
  • services de régulation : régulation du climat (par l'occupation du sol, le stockage de carbone), du cycle de l'eau (ruissellement, infiltration, stockage, évapotranspiration), de la qualité de l'eau (filtration, épuration), de certains polluants (biodégradation), des maladies et pathogènes (des végétaux, animaux, humains) ;
  • services culturels : héritage culturel (paysages, conservation des vestiges archéologiques), rites funéraires…

Un service met généralement en jeu plusieurs fonctions des sols et plusieurs processus pédologiques (physiques, chimiques ou biologiques), lesquels peuvent contribuer à plusieurs services. Ainsi par exemple, le service de production végétale met en jeu des fonctions d'ancrage de la plante et de fourniture d'eau et d'éléments nutritifs, faisant appel à des processus qui libèrent lentement des nutriments à partir de minéraux du sol et les rendent disponibles pour les plantes.


Un capital soumis à diverses pressions

Partout dans le monde, les sols sont menacés par diverses activités humaines qui réduisent leur disponibilité et leur capacité à assurer leurs fonctions à long terme. En Wallonie, les principaux risques sont liés à l’imperméabilisation des sols, aux pollutions locales et diffuses, à la baisse des teneurs en matière organique des sols agricoles, à leur érosion par les eaux pluviales, à la compaction des sols agricoles et forestiers, à l'acidification des sols forestiers et à la perte de biodiversité dans les sols. Ces menaces, qui mettent en jeu des phénomènes complexes souvent liés entre eux, diffèrent notamment par les superficies de sol concernées et par leur caractère plus ou moins réversible. Ainsi par exemple, les teneurs trop faibles en matière organique touchent près de 375 000 ha de sols cultivés (données 2015 - 2019) mais le problème est réversible, tandis que l'imperméabilisation, qui concerne près de 122 000 ha (données 2007), est quasi irréversible. Dans le cas de la perte de biodiversité, les superficies concernées sont impossibles à estimer à l'heure actuelle. Il n'est donc pas évident de hiérarchiser ces menaces du point de vue de leur degré d'impact.

Des sols imperméabilisés qui perdent la plupart de leurs fonctions

L’imperméabilisation des sols (routes, allées, trottoirs, parkings, bâtiments...) est une problématique préoccupante en raison de son caractère irréversible à l’échelle de plusieurs générations et de la perte de fonctions qui en découle. L’imperméabilisation empêche l'infiltration des eaux pluviales, ce qui (i) augmente le risque d'inondations par une baisse des capacités de stockage de l'eau par les sols et une augmentation des vitesses de transfert de cette eau vers les cours d'eau, et (ii) réduit les infiltrations qui permettent la recharge hivernale des masses d'eau souterraine, particulièrement nécessaires dans un contexte de changements climatiques entrainant une fréquence accrue de sécheresses saisonnières. L'imperméabilisation met également fin au fonctionnement biologique des sols, qu'il s'agisse de la microflore et de la faune du sol, de la flore, ou encore des espèces qui dépendent des sols à l'un ou l'autre stades de leur cycle biologique. Elle met fin de ce fait également à d'autres fonctions des sols : stockage de carbone, cycles des éléments… Elle augmente par ailleurs la fragmentation du territoire par la présence de barrières écologiques. Enfin, elle favorise en ville la formation d'îlots de chaleur.

Selon les dernières données disponibles(b), relativement incertaines, le taux d’imperméabilisation des sols en Wallonie était de 7,2 % en 2007, soit une superficie imperméabilisée de près de 122 000 ha. Ce taux variait cependant sensiblement entre les communes wallonnes (de 3,7 % à 26,4 %). Un projet de cartographie des surfaces imperméabilisées en Wallonie au moyen de technologies spatiales et aéroportées est en cours d'élaboration. Son terme est programmé pour 2025.

Limiter l’imperméabilisation passe par limiter l’artificialisation[1], qui concernait entre 11 % et 16 % du territoire wallon en 2020. Lorsque limiter l'imperméabilisation n’est pas possible, les sols déjà artificialisés devraient être remobilisés en priorité plutôt que de nouvelles terres. L’objectif européen "no net land take" vise à stopper toute augmentation nette de la surface artificialisée dès 2050. En adoptant en 2019 le Schéma de développement du territoire (SDT), dont la date d'entrée en vigueur reste à déterminer, le Gouvernement s’est engagé à atteindre cet objectif en programmant de réduire la consommation des terres non artificialisées à 6 km2/an d’ici 2030 et de tendre vers 0 km2/an à l’horizon 2050. Sur la période 2015 - 2020, cette consommation était de 11 km2/an.
 

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Près de 40 000 ha potentiellement touchés par une pollution locale

La pollution locale des sols, dont les sources sont identifiables et localisables, est une autre cause de dégradation des sols en Wallonie comme partout en Europe. Dans la plupart des cas, la pollution du sol est l’héritage de pratiques du passé qui ne tenaient pas suffisamment compte des enjeux environnementaux. Aujourd'hui, des mesures sont en place pour éviter toute nouvelle pollution, notamment dans le cadre des permis d'environnement et du décret relatif à la gestion et à l'assainissement des sols, dit décret "Sols".

Les enjeux de la pollution locale des sols sont à envisager à plusieurs niveaux :

  • risques pour la santé humaine (via diverses voies d’exposition : ingestion de particules de sol, ingestion d’aliments produits sur des sols contaminés, ingestion d’eau transitant par des canalisations enterrées dans des zones polluées, inhalation de polluants volatils présents dans les sols ou dans l’eau, contact avec des polluants présents dans les sols ou l’eau via la peau…) ;
  • risques pour les eaux souterraines (migration des polluants) ;
  • risques pour les écosystèmes (toxicité pour les organismes vivants à tous les niveaux de la chaine alimentaire) ;
  • frein au redéveloppement économique local (manque d’attrait pour les investisseurs, gel des terrains à vocation économique…).

La gestion de ces pollutions est encadrée par le décret "Sols" qui applique le principe du pollueur-payeur. Le passif est particulièrement important en Wallonie du fait de son riche passé industriel. Selon la Banque de données de l'état des sols (BDES), une attention particulière doit être portée à 39 500 parcelles cadastrales, couvrant une superficie de près de 40 000 ha (2,3 % du territoire, 15 % de la superficie artificialisée) qui ont déjà fait, ou doivent encore faire l'objet de démarches de gestion du sol (données au 31/03/2021). Il peut s'agir de friches industrielles, d'anciennes stations-services, d'anciens dépotoirs, de sites dont les activités passées ou en cours sont susceptibles de polluer le sol ou les eaux souterraines… Une fois assainies, c'est-à-dire rendues compatibles avec un certain usage du sol (normes différentes selon qu'il s'agit d'un usage résidentiel, récréatif, industriel…), ces parcelles restent l'objet d'une attention en raison de l'évolution possible des normes de qualité des sols ou en prévision d'éventuels travaux impliquant un remaniement des terres ou d'éventuels changements d'usage qui remettraient en question leur statut.
 

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Des phénomènes de pollution diffuse difficiles à maîtriser

Les sols sont également soumis à des phénomènes de pollution diffuse, dont les sources ne sont généralement pas attribuables à un émetteur responsable. Cette pollution, généralement faible mais à grande échelle, peut être le résultat :

  • de retombées de poussières sédimentables à proximité d'installations émettrices (sidérurgie, cimenteries, fours à chaux, carrières, métallurgie, traitement des métaux, chimie, incinérateurs…), qui font l'objet d'un suivi par l'Institut scientifique de service public (ISSeP) et l'Agence wallonne de l'air et du climat (AwAC). Ces retombées sont globalement en diminution depuis les années 2000 grâce à la baisse ou l'arrêt de certaines activités et l'application de nouvelles conditions d’exploiter (permis d'environnement), le développement de nouvelles technologies (filtres plus efficaces, nouveaux procédés industriels, remplacement de certains composés…). Des retombées en éléments traces métalliques sont toutefois observées localement certaines années à des niveaux élevés. Il est cependant difficile de faire la part des choses entre ces retombées et les éléments traces métalliques historiquement présents dans le sol et formant une concentration de fond ;
  • de retombées de polluants atmosphériques après déplacements sur de longues distances (de l'ordre de 100 km ou plus). Parmi les polluants concernés, on peut citer en particulier les polluants soufrés et azotés, qui constituent une cause importante de dégradation des écosystèmes par acidification et eutrophisation (excès de nutriments), en induisant notamment des déséquilibres nutritionnels chez les végétaux. En 2015, la situation n'était plus problématique que pour l'azote, dont la charge critique[2] du point de vue de l'eutrophisation était dépassée pour 6 % des surfaces forestières (35 000 ha) et 95 % des surfaces d’autres écosystèmes de végétation semi-naturelle (landes, marais, tourbières…) (11 000 ha), milieux relativement rares en Wallonie ;
  • de pollutions dues aux activités agricoles (apports aux sols de pesticides, d'engrais, d'effluents d'élevage, de boues de stations d'épuration collectives…), qui peuvent entrainer des phénomènes d'enrichissement des sols en éléments indésirables (cadmium dans le cas des engrais phosphatés p. ex.) et la présence dans l'environnement de substances pouvant perturber la faune et la flore terrestre et aquatique (pesticides ou résidus d'antibiotiques p. ex.), bien au-delà des superficies traitées ;
  • de pollutions dues à la valorisation non contrôlée de certains déchets sur ou dans les sols lors d’activités de remblayage menées à grande échelle ou de manière généralisée (terres excavées, sédiments, boues de dragages…).

La lutte contre les phénomènes de pollution diffuse passe par le contrôle et la diminution des émissions de polluants atmosphériques, le suivi règlementaire approprié des matières pouvant être valorisées sur les sols, la baisse des quantités d'intrants utilisés en agriculture associée à l'amélioration de leur qualité, et des modalités d'utilisation qui minimisent les pertes par volatilisation, ruissellement vers les eaux de surface et migration vers les eaux souterraines. Si certaines politiques visant l'air (Plan air climat énergie 2016 - 2022 p. ex.) ou l'eau (Programme de gestion durable de l'azote en agriculture, Plans de gestion des districts hydrographiques p. ex.) y contribuent, la lutte contre la pollution diffuse sur et dans les sols ne fait pas l'objet d'une législation spécifique, sauf en ce qui concerne les boues de stations d’épuration dont l’utilisation sur ou dans les sols est règlementée depuis 1995 et les terres excavées dont la gestion et la traçabilité sont règlementées depuis 2018. Dans les autres cas, la pollution diffuse est abordée de manière indirecte via les législations relatives au permis d’environnement, à la gestion des déchets, à la gestion et à l'assainissement des sols, et aux pesticides.

Des teneurs trop faibles en matière organique dans la plupart des sols cultivés

La présence en quantité suffisante de matière organique (MO) dans les sols est essentielle pour des questions de fertilité (nutriments), de biodiversité (habitats, source d’énergie), de structure des sols (aération, résistance à l’érosion, à la battance[3], à la compaction), de circulation de l’eau (infiltration, rétention), de stockage de carbone (lutte contre les émissions de gaz à effets de serre) et d’immobilisation/dégradation de certains polluants (effet filtre). Les teneurs en MO, estimées par les teneurs en carbone (C), suivent globalement un gradient croissant du nord-ouest au sud-est de la Wallonie, reflétant les variations géographiques en termes d’occupation et d'utilisation du sol, de type de sol et de climat :

  • au nord-ouest et au centre de la Wallonie (Région limoneuse, Région sablo-limoneuse et Condroz), on trouve une proportion plus élevée de sols sous cultures, dont les teneurs en MO sont plus faibles en raison d'un apport de MO insuffisant pour compenser les pertes par minéralisation, par érosion des couches superficielles de sol ou par exportation de terre avec les récoltes ;
  • au sud et à l'est de la Wallonie (Ardenne, Haute Ardenne, Région herbagère), on trouve une proportion plus élevée de prairies permanentes et de forêts dont les sols sont plus riches en MO. Sous prairie, cela s'explique par une rhizosphère[4] plus dense que sous culture, favorable à la production de MO, et par l’absence du labour qui a tendance à accélérer les pertes par minéralisation. Sous forêt, cela s'explique par des apports de MO fraîche chaque année grâce à la litière (feuilles mortes surtout) et ses produits de décomposition. Par ailleurs, le climat plus froid et plus humide à plus haute altitude (Ardenne, Haute Ardenne) ralentit l’activité biologique des sols, d’où une décomposition et une minéralisation plus lentes de la MO qui tend à s’accumuler.

Sur la période 2015 - 2019, les sols sous cultures (25 % du territoire wallon) présentaient une teneur moyenne en carbone de 13 g C/kg et les sols sous prairies permanentes (18 % du territoire wallon) une teneur moyenne de 37 g C/kg. Pour les sols forestiers (33 % du territoire wallon), cette teneur est généralement supérieure à 40 g C/kg. Plusieurs critères peuvent être considérés pour établir un seuil de teneur minimale en MO pour un bon fonctionnement des sols. L'un d'entre eux, critique pour le risque d'érosion, est la stabilité des agrégats sous l'action des eaux pluviales. Des agrégats stables garantissent notamment le maintien d'une bonne porosité du sol nécessaire à la circulation de l'eau, aux échanges gazeux et à l'activité biologique. Selon ce critère, 90 % des superficies sous cultures en Wallonie (près de 375 000 ha, soit environ 22 % du territoire) présentent des teneurs trop faibles en MO (< 20 g C/kg) car susceptibles d'entrainer un risque d'instabilité des agrégats. Sous prairies permanentes, le problème est marginal puisqu'il concerne 1,4 % des superficies, soit moins de 0,3 % du territoire. Les sols forestiers ne sont pas concernés.

Des réflexions sont actuellement menées au Service public de Wallonie (SPW) Environnement pour encourager les pratiques agricoles favorisant l'augmentation des teneurs en MO des sols sous cultures. Ces pratiques sont connues :

  • couverture végétale des sols plus dense et plus pérenne (cultures intermédiaires, prairies temporaires, agroforesterie[5], restauration de prairies permanentes…) ;
  • retour au sol de résidus ou coproduits de cultures et apport de MO (effluents d’élevage, composts, digestats, boues de stations d'épuration valorisables…) ;
  • diversification culturale, allongement des rotations, techniques culturales favorisant une bonne structure des sols et une faible érosion (travail limité du sol p. ex.).

Ces pratiques ont le double avantage d'améliorer les propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols et d'accroitre le stockage de carbone dans les sols, bénéfique dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques. Une partie des émissions de CO2 pourrait en effet être absorbée grâce à la généralisation des pratiques agricoles citées plus haut, dites "stockantes". Les données actuellement disponibles(c), qui demandent une actualisation, indiquent toutefois pour la Belgique un potentiel de stockage relativement faible (de 0,5 à 0,9 % des émissions totales de gaz à effet de serre de 1990, soit 5 à 9 % des émissions du secteur agricole). À côté de ces pratiques, le maintien des forêts et prairies permanentes pour conserver les stocks de carbone existants est indispensable.

Par ailleurs, un suivi plus fin de la dynamique du carbone dans les sols par des analyses de sol spécifiques permettrait d'appliquer des mesures correctrices dès les premiers signes d'une insuffisance. Bien que leurs modes opératoires soient connus, ces analyses ne sont pas encore proposées aux agriculteurs par les laboratoires provinciaux d'analyses de sol.

Une érosion trop élevée sur 59 % des sols sous cultures

L’érosion des sols par les eaux pluviales et l'entrainement par ruissellement de leurs constituants vers les cours d'eau sont des processus naturels fortement accentués par certaines pratiques agricoles. Les conséquences sont multiples : pertes en sol, baisse de fertilité, dégâts aux cultures, risque de coulées boueuses et d’inondations, altération de la qualité des eaux de surface et accumulation de sédiments dans les cours d’eau, entrave à la navigation…
 

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Le problème concerne plus spécialement les sols sous cultures, plus sensibles à l’érosion que les sols sous couvert végétal permanent (forêts, prairies). Les pertes estimées en sols dépassent 5 t/(ha.an) sur environ 59 % de la superficie des sols sous cultures (près de 240 000 ha), et 10 t/(ha.an) sur 23 % de celle-ci (près de 92 000 ha) (2010 - 2019). Or on considère qu'au-delà de 5 t/(ha.an), les pertes sont incompatibles avec le maintien à long terme de toutes les fonctions que remplissent les sols. Ces pertes sont plus élevées dans les régions de grande culture (Région limoneuse, Région sablo-limoneuse et Condroz). Cela s'explique par (i) la présence de cultures sarclées (pomme de terre, betterave, maïs) peu couvrantes au printemps, saison où les pluies sont généralement plus érosives, et (ii) la teneur en matière organique dans les sols agricoles généralement trop faible. La majeure partie des quantités de sol érodé est redéposée ou retenue par divers obstacles (creux, végétaux…) avant d'atteindre un cours d'eau. Environ 12 % y parviennent, avec des conséquences négatives pour les écosystèmes aquatiques : excès de nutriments (azote, phosphore), apports de matières en suspension et de polluants, augmentation des quantités de sédiments… Ces estimations ne concernent pas les phénomènes aigus d'érosion linéaire (creusement de ravines…) ou en masse (coulées boueuses…) qui entrainent les dommages les plus visibles et dont l'ampleur, la fréquence et la localisation ne font pas l'objet d'un suivi statistique.

Lutter contre l'érosion passe par :

  • le maintien d'une bonne structure des sols favorisant la stabilité des agrégats et l'infiltration : teneur suffisante en matière organique, travail du sol minimisant le risque de compaction… ;
  • la protection des sols par un couvert végétal : mise en place de cultures de couverture après la récolte principale (actuellement obligatoire sur sol en pente de plus de 10 %), gestion adaptée des rotations culturales… ;
  • la gestion des mouvements de l'eau : (i) ralentissement du ruissellement grâce à des obstacles (bandes enherbées – obligatoires en cas de cultures sarclées –, fossés, talus, haies…) et à des zones de stockage temporaires (mares, zones humides, déversoirs…), (ii) orientation des flux (chenaux…) vers les cours d'eau, étangs ou collecteurs.

De telles mesures sont reprises dans divers plans (Plans de gestion des districts hydrographiques, Plans de gestion des risques d'inondation) et législations (conditionnalité des aides agricoles européennes dans le cadre de la Politique agricole commune, Code wallon de l’agriculture) mais ne sont pas encore suffisamment généralisées, la plupart d'entre elles étant non contraignantes. Une cellule d’expertise et de conseil en matière de pratiques anti-érosives est également en place en Wallonie (cellule GISER).

Des sols compactés sous l'effet d'engins agricoles et sylvicoles

La compaction est un phénomène de détérioration de la structure des sols par pression mécanique, surtout lié au passage d’engins lourds. Elle a lieu lorsque la pression dépasse un certain seuil au-delà duquel le sol perd son comportement élastique et ne parvient pas à restaurer sa porosité initiale. Cela se produit d'autant plus facilement que les constituants des sols sont fins (argile, limons fins), que les sols sont mal structurés, pauvres en MO et humides (entre octobre et mars globalement). Des classes de sensibilité à la compaction dans les horizons profonds (40 cm) ont été attribuées aux sols wallons. Globalement, les zones les plus sensibles sont constituées par les sols limoneux peu caillouteux de certaines parties de l'Ardenne.

La compaction peut entraîner une baisse des rendements agricoles, affecter la vitalité des peuplements forestiers et réduire la capacité d’infiltration des eaux pluviales avec pour conséquence des risques accrus d’érosion, d’inondation et de pollution des eaux de surface. La prévention repose sur des bonnes pratiques, qui ne font pas l'objet d'une législation particulière[6] :

  • des adaptations techniques visant à diminuer la pression exercée sur le sol (baisse de la pression des pneus avec télégonflage afin de faciliter l’ajustement entre sol et route, pneus larges, chenilles…) ;
  • l’organisation optimale des travaux (prise en compte de la teneur en eau des sols dans la planification, limitation des charges et du nombre de passages, organisation du trafic limitant la compaction à des bandes de sol déterminées, layon de débardage en forêt…) ;
  • l’adaptation des méthodes de labour ;
  • la maitrise de l’état physique des sols (teneur en MO suffisante, drainage éventuel, recours aux cultures de couvertures…).

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Des sols trop acides sous de nombreuses forêts

L'acidification des sols touche particulièrement les sols forestiers. Il s'agit d'un phénomène naturel qui a été accentué par les retombées atmosphériques de substances acidifiantes (oxydes d'azote et de soufre) liées aux activités humaines. Ces retombées ont été problématiques jusque dans les années '90 ("pluies acides") mais ne le sont plus aujourd'hui, en raison de la forte diminution des émissions de ces substances à l'échelle européenne. Les sols forestiers, dont l'acidité n'a généralement pas été neutralisée par des pratiques de fertilisation (chaulage p. ex.) contrairement aux sols agricoles, gardent toutefois la trace de ces retombées.

Les conséquences de l'acidification, mesurée par l'évolution du pH des sols, sont une perte d'éléments nutritifs (calcium, magnésium…), la dissolution des minéraux du sol et la libération d'aluminium et de manganèse, toxiques pour les végétaux dans certains sols sous certaines valeurs de pH. Ces phénomènes, naturels mais accélérés dans la 2ème moitié du 20ème siècle, ont largement contribué au dépérissement des forêts observé sous nos latitudes dans les pays industrialisés au cours des années '80 et '90. Pour la période 1994 - 2012, 75 % des sols sous forêt présentaient un sol acide dont le pHeau était inférieur à 4,5, seuil de contrainte pour la grande majorité des essences, et 10 % présentaient un pHeau inférieur à 4,0, seuil sous lequel peuvent apparaître des phénomènes de toxicité dus à l'aluminium ou au manganèse.

Une biodiversité des sols exceptionnelle, méconnue et menacée

Plusieurs facteurs font pression sur la biodiversité du sol, entendue comme la diversité des gènes, des espèces vivant dans les sols et des communautés qu'elles forment. Ces facteurs sont les suivants : agriculture intensive (apports élevés d'intrants, monocultures ou rotations courtes, faible apport de MO, travail du sol profond et systématique…), perte de MO, érosion, compaction, artificialisation, imperméabilisation, pollution des sols, soit l'ensemble des phénomènes de dégradation des sols déjà cités, auxquels il faut ajouter les changements climatiques et les espèces invasives, y compris à l'échelle microbienne. Or la biodiversité dans les sols, qui dépasse largement la biodiversité au-dessus des sols, particulièrement à l'échelle microbienne, joue un rôle majeur dans plusieurs fonctions des sols (minéralisation de la MO et formation de MO stable, cycles des nutriments, développement de la structure des sols, régulation des espèces et des populations, réservoir de ressources génétiques et pharmaceutiques), elles-mêmes essentielles à la fourniture de plusieurs services rendus par les sols. On s'aperçoit aujourd'hui que la redondance fonctionnelle, c'est-à dire le fait que plusieurs espèces seraient en quelque sorte interchangeables car capables de réaliser une même fonction, n'est pas aussi opérante qu'on le pensait. Des recherches récentes indiquent par exemple une spécialisation considérable parmi les décomposeurs microbiens.

La biodiversité des sols et les interactions complexes entre les organismes des sols restent aujourd'hui largement méconnues et les données manquent en Wallonie pour dresser un état des lieux. Des indicateurs de la qualité biologique des sols ont cependant été mis au point et proposés notamment aux laboratoires d’analyse des sols agricoles en complément des analyses physico-chimiques classiques. Même si elles doivent encore pouvoir être mises en œuvre par ces laboratoires et qu’elles restent assez globales dans leur mesure de la vie biologique des sols, ces analyses de la qualité biologique pourraient progressivement alimenter des bases de données et mener à la constitution de référentiels au niveau de la Wallonie. Sur le plan législatif, la biodiversité des sols ne fait pas l'objet d'attention spécifique pour le moment.


De nombreux défis pour l'avenir et la perspective d'une politique européenne

Les risques de dégradation des sols et leurs impacts, illustrés dans les paragraphes précédents par quelques données clés, indiquent que plusieurs mesures devraient être renforcées ou mises en place pour une véritable protection des sols. Parmi les multiples défis pour l'avenir, on pourrait pointer plus spécialement :

  • la maitrise de la consommation en sol, y compris en poursuivant la gestion des sols pollués, dans un contexte de demande toujours croissante ; ce point est crucial en raison du caractère non renouvelable des sols et des conséquences irréversibles de l'imperméabilisation ;
  • l'augmentation des teneurs en MO dans les sols agricoles, en maitrisant les effets secondaires éventuels de certains apports (émissions de gaz à effet de serre, flux de nitrate vers les eaux, pollution diffuse des sols par épandage de matière organique inadaptée…) ; ce point est particulièrement important en raison du rôle central de la MO dans les sols ;
  • la lutte contre les phénomènes de pollution diffuse qui, dans certains sols et pour certains polluants, peuvent entrainer des phénomènes d'accumulation à long terme, avec des pertes de qualité (et donc d'aptitude à certains usages) irréversibles ; ce point mérite une attention particulière dans le contexte du développement de l'économie circulaire : la valorisation de certaines matières sur les sols présente un intérêt agronomique pour autant que la qualité de ces matières et la capacité des sols récepteurs soient bien vérifiées, comme c'est le cas pour les boues de stations d'épuration par exemple.

Dans la poursuite de ces objectifs, une véritable politique intégrée de protection des sols, au même titre que les politiques visant l'air et l'eau, serait nécessaire. Au niveau européen, une nouvelle politique dite "EU Soil Strategy for 2030" a été publiée par la Commission européenne fin 2021. Une première tentative, lancée en 2006, avait dû être abandonnée en 2014 pour des raisons politiques et juridiques, auxquelles a pu contribuer la difficulté à faire reconnaître l’importance des sols au même titre que l'air ou l'eau. La nouvelle stratégie établit un cadre comportant des mesures concrètes pour la protection, la restauration et l'utilisation durable des sols. Cette stratégie vise notamment à augmenter la teneur en MO des sols agricoles, à restaurer les terres et les sols dégradés et à faire en sorte que, pour 2050, tous les écosystèmes "sols" soient en bon état. Une nouvelle législation européenne sur la santé des sols devrait être proposée en 2023. Cette nouvelle initiative en complète d'autres, comme celles du Pacte vert pour l'Europe (European Green Deal), de la Stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 et de la Stratégie de la ferme à la table (Farm to Fork Strategy).

Toujours au niveau européen, plusieurs autres initiatives montrent une meilleure prise en compte des sols. Parmi les plus récentes, on peut citer la création en 2020 d'un Observatoire européen des sols et la définition d'une politique "Prendre soin des sols, c'est prendre soin de la vie", portefeuille d'actions au sein du programme-cadre de recherche et innovation "Horizon Europe" pour la période 2021 - 2027.

En Wallonie, les efforts se sont concentrés ces dernières années sur le développement des outils nécessaires à la mise en œuvre du décret "Sols" visant essentiellement la gestion des sols potentiellement pollués. Des financements supplémentaires (Plans Marshall) ont également été alloués à la réhabilitation de friches industrielles. Dans d'autres domaines, divers projets ont permis d'améliorer la connaissance de l'état des sols (indicateurs de qualité biologique des sols, carte des teneurs en matière organique, carte des concentrations de fond en éléments traces métalliques, carte de sensibilité à la compaction, état des sols urbains…) ou de développer de nouveaux outils (gestion des risques liés à l'usage de jardins potagers, sélection des meilleures techniques d'assainissement…).

Pour l'avenir, le Plan de relance de la Wallonie comprend 12 mesures visant spécifiquement les sols. Le Gouvernement wallon souhaite notamment mettre en place un meilleur suivi des stocks de carbone et de la qualité biologique des sols, renforcer la filière de conseil relative à la qualité des sols (laboratoires d’analyse, conseillers…), cartographier l'imperméabilisation, tester et évaluer la faisabilité de techniques de limitation de l'imperméabilisation et accélérer la réhabilitation des décharges les plus problématiques.

 


[1] L’artificialisation est le fait de soustraire des surfaces de leur état naturel, forestier ou agricole, qu’elles soient ensuite bâties ou non et revêtues ou non.

[2] Quantité maximale de dépôts atmosphériques de polluants qu'un écosystème peut assimiler sans effets indésirables à long terme

[3] Dégradation de la structure des sols sous l'action des gouttes de pluie, entrainant la formation d'une croûte de surface s'opposant à l'infiltration

[4] Ensemble des microrégions du sol en contact avec les racines. Le sol rhizosphérique présente une richesse particulière en composés organiques, favorable à une forte activité microbienne.

[5] Association d'arbres et de cultures ou d'animaux sur une même parcelle

[6] À noter cependant, pour les forêts domaniales, l'interdiction de causer des dégâts aux sols

 

Références

(a) Feller C, de Marsily G, Mougin C, Pérès G, Poss R, Winiarski T, 2016. Le sol, une merveille sous nos pieds. Éditions Belin : Paris, France.

(b) ULB - IGEAT - ANAGÉO, 2015. Cartographie des surfaces imperméables en Wallonie (CASIM). Rapport final. Étude réalisée pour le compte du SPW -DGO3 - DRCE.

(c) Dendoncker N, Van Wesemael B, Rounsevell MDA, Roelandt C, Lettens S, 2004. Belgium’s CO2 mitigation potential under improved cropland management. Agriculture, Ecosystems and Environment 103, 101-116. q

Sources

ISSeP ; SITEREM ; SPF Finances - AGDP (base de données Bodem/Sol) ; SPW - AwAC ; SPW Agriculture - DA ; SPW Environnement - DEE ; SPW Environnement - DEMNA ; SPW Environnement - DNF ; SPW Environnement - DRCE ; SPW Environnement - DSD ; Statbel (SPF Économie - DG Statistique) ; UCLouvain - ELI - TECLIM & REQUASUD (licence A09/2016) ; ULiège-GxABT - Unité BIOSE (modèle EPICgrid)
 

Remerciements

Patrick ENGELS (SPW Environnement - DEMNA) ; Esther GOIDTS (SPW Environnement - DSD)