L’accumulation de sédiments au fond des voies d’eau peut nuire à la navigation (tirant d'eau insuffisant, moindre accessibilité aux quais, vitesse de navigation réduite…) et augmenter le risque d’inondation en diminuant les capacités d'écoulement. Le dragage est un moyen d'y remédier. Les matières extraites, qui ont le statut de déchet, nécessitent des modes de gestion qui tiennent compte de la présence de polluants.
Une gestion différenciée selon le degré de pollution
Avant dragage, les matières à extraire du lit ou des berges des voies d'eau sont analysées et classées en catégories A (non ou peu polluées) ou B (polluées) selon leurs teneurs en métaux et micropolluants organiques, conformément à l’AGW du 30/11/1995[1] q. Les données sur les matières extraites au cours de la période 2010 - 2020 indiquent une proportion moyenne de 45 % de catégorie A et de 55 % de catégorie B. Une fois draguées, ces matières sont transportées vers des centres de regroupement[2] où elles sont déshydratées par lagunage ou par filtre-presse. Elles sont également criblées, avant ou après déshydratation, pour en extraire les déchets exogènes (ferraille, plastique… gérés via les filières adaptées), puis sont valorisées ou éliminées selon leur qualité :
- toutes les matières de catégorie A (non ou peu polluées) sont valorisées conformément à l'AGW du 14/06/2001 q comme matériau de fondation ou sous-fondation, ou à des fins de réhabilitation de sites pollués, d'aménagement ou de réhabilitation de centres d'enfouissement technique (CET), ou encore d'aménagement du lit et des berges de cours d'eau hors zones d'intérêt biologique. L'utilisation en couverture de CET et le remblayage dans le cadre de travaux de réhabilitation de sites pollués sont les filières les plus fréquentes. Parfois, des critères de distance, de disponibilité des centres de regroupement et de facilité de valorisation favorisent l'envoi de ces matières en Flandre ;
- deux tiers des matières de catégorie B (polluées) sont éliminées en CET, le solde étant soit traité afin d'atteindre les critères de la catégorie A, soit redirigé en Flandre où des normes différentes permettent dans certains cas une valorisation ;
- dans certains cas, une demande de dérogation selon l’article 13 de l’AGW du 14/06/2001 est introduite afin de valoriser ces sédiments selon une autre filière, par exemple comme terres de remblai sur des terrains à usage récréatif, commercial ou industriel.
À noter qu'il n'existe pas à ce jour de données consolidées sur les volumes de sédiments valorisés ou enfouis ni sur leur destination finale.
Des dragages de 164 000 m3/an en moyenne sur la période 2016 - 2020
Dans les années '90, les dragages d'entretien[3] ont été empêchés par plusieurs facteurs : manque de moyens financiers, législation plus stricte (législation "déchet" et AGW du 30/11/1995) et manque d’installations techniques conformes aux dispositions légales[4]. Cette situation a généré des entraves à la navigation et produit un gisement "passif" de plusieurs millions de m3 de sédiments pour l'ensemble du réseau des voies navigables (450 km)[5]. Entre 2001 et 2009, les dragages ont repris, principalement sur des tronçons peu pollués vu le manque d'infrastructures pour la gestion des matières de catégorie B (polluées). Puis, sur la période 2010 - 2015, grâce à un plan de financement exceptionnel (64 millions d'euros de financement Sowafinal[6] en plus de l'allocation de base annuelle de 16,7 millions d'euros), d’importants travaux de dragage ont été menés pour extraire et gérer 1 271 000 m3 de sédiments en 6 ans, soit en moyenne près de 212 000 m3/an. Pour ce faire, les capacités de traitement et de valorisation des matières de catégories A et B ont été portées respectivement à 100 000 m3/an et 235 000 m3/an par la construction de centres de regroupements et l'appel à des entreprises privées. Ces travaux ont permis de supprimer les entraves à la navigation sur l'ensemble du réseau[7]. Ce sont ensuite près de 164 000 m3/an qui ont été extraits et gérés en moyenne sur la période 2016 - 2020, le financement ayant été assuré par l'allocation de base seule (16,5 millions d'euros/an). Pour la période 2021 - 2024, le marché de dragage et de gestion en cours prévoit de poursuivre au même rythme avec un financement équivalent.
Une faible marge de sécurité
Les moyens sont alloués aux dragages minimums nécessaires pour garantir la navigabilité, ce qui implique des interventions plus fréquentes pour de plus faibles épaisseurs. Cette stratégie entraîne des coûts de gestion des sédiments plus élevés, notamment en raison des coûts de transport qui comptent pour environ 30 % des coûts de dragage[8]. Elle pourrait conduire à des limitations temporaires et locales de la navigation à pleine charge avec des impacts économiques sur les coûts de transport à la tonne[9] (b). Or le respect des capacités des voies navigables selon leur classe q est indispensable pour rentabiliser les investissements visant à moderniser le réseau et à favoriser le transport fluvial q (p. ex. mises à gabarit de 9 000 t de l'écluse d'Ampsin-Neuville sur la Meuse et de 2 000 t du réseau ouest sur la liaison Seine-Escaut, plateformes multimodales)[10].
Développer des filières de gestion durable
Le principe de la hiérarchie des modes de gestion des déchets préconise d’appliquer prioritairement des mesures de réutilisation, de recyclage, de valorisation énergétique et, enfin, d’élimination, sous réserve de contre-indication d'ordre environnemental, sanitaire, technique ou économique (décret du 10/05/2012 q). Dans cet esprit, des recherches ont été et sont menées en Wallonie pour mettre au point et tester de nouvelles filières de valorisation des sédiments :
- valorisation de fractions fines dans la production de briques ou de granulats d’argile expansée, prometteuse en laboratoire mais non testée à l'échelle industrielle (projet SOLINDUS, 2007 - 2015) ;
- valorisation de fractions moyennes et grossières par incorporation au sol pour des aménagements paysagers, dont les effets écotoxicologiques se sont montrés variables (projet VALSOLINDUS, 2007 - 2015) ;
- valorisation de fractions grossières dans l'industrie du béton (pistes cyclables) et dans l'aménagement de buttes paysagères, dont l'intérêt est en cours d'évaluation (projet VALSE, 2016 - 2022).
Ces recherches sont en phase avec le Plan wallon des déchets-ressources q, qui a notamment pour objectif de favoriser l'émergence de nouvelles filières de valorisation des sédiments et d'optimiser l'utilisation des filières de gestion existantes.
[1] Cet arrêté devrait être révisé pour tenir compte de l'évolution des législations "déchets" et "sols".
[2] En 2021, 8 centres de regroupement (CR) étaient en exploitation : les CR du Vraimont (à Tubize), d'Erquelinnes (à Erquelinnes) et de Tongres Notre-Dame (à Chièvres) pour les matières de catégorie A ; les CR de Saint-Ghislain (à Saint-Ghislain), de Laplaigne (à Brunehaut) et d'Obourg (à Mons) pour les matières de catégorie B ; les CR de Bilhée (à Ath) et d'Ampsin (à Amay) pour les matières de catégories A et B. La capacité d'absorption annuelle de l'ensemble de ces infrastructures est estimée à 310 000 m3. À ces CR publics, gérés par le SPW Mobilité et Infrastructures, s'ajoutent quelques CR d'opérateurs privés.
[3] Les apports annuels de sédiments aux voies d'eau pourraient atteindre 600 000 m3/an selon une estimation ancienne(a), qui concorde avec les rendements en sédiments estimés par le modèle EPICgrid q : sur la décennie 2008 - 2017, ce sont entre 337 000 t/an de sédiments (min. sur la période) et 867 000 t/an de sédiments (max. sur la période) qui ont gagné chaque année les eaux de surface wallonnes par érosion hydrique des sols. Les mêmes ordres de grandeur sont valables en termes de volumes (m3/an) puisque 1 m3 de sédiments humides équivaut à 0,9 à 1 t de sédiments secs. Seule une part de ces apports atteint les voies navigables, mais d'autres sources s'y ajoutent (érosion des berges, sédiments endogènes, rejets…). Les volumes dragués avant 1990, compris entre 400 000 m3/an et 600 000 m3/an(b), correspondent également à ces ordres de grandeur.
[4] Le premier centre de regroupement (CR) a été construit en 2001.
[5] Selon des estimations effectuées en 2018 par le SPW Mobilité et Infrastructures, le gisement "passif" à extraire serait compris entre 3 et 11 millions de m3 selon les enjeux considérés et les objectifs poursuivis (p. ex. limiter le dragage à la passe navigable, assainir les zones polluées ou ramener l'ensemble du réseau à son gabarit initial).
[6] Filiale de la Société régionale d'investissement de Wallonie (SRIW) créée dans le cadre du Plan Marshall pour gérer un mécanisme de financement alternatif au bénéfice de certains projets parmi lesquels l'aménagement et l’équipement de zones d’activités prioritaires et l’équipement des zones portuaires.
[7] Sauf sur le canal de Pommerœul-Condé, fermé à la navigation depuis 1992 pour cause d'envasement en aval de l'écluse d'Hensies (côté français essentiellement), et dont le dragage et la mise à gabarit ont débuté en juin 2018 (Voies navigables de France, marché 2016 - 2026).
[8] Coûts hors déshydratation, valorisation ou élimination (estimation SPW Mobilité et Infrastructures)
[9] Augmentation théorique des coûts de 4 % p. ex. pour une limitation du tirant d'eau à 2,4 m sur des voies qui autoriseraient normalement un tirant d'eau de 2,5 m.
[10] Ces investissements, annoncés dans la Déclaration de politique régionale 2019 - 2024 q, figurent dans le Plan "Mobilité et infrastructures pour tous" 2020 - 2026 (229 200 000 € pour le transport fluvial) q.
Évaluation
Évaluation de l'état non réalisable et évaluation de la tendance non réalisable
- Pas de référentiel
- Les budgets alloués pour la période 2016 - 2020 ont permis le dragage et la gestion d'environ 164 000 m3/an. Un rythme équivalent est prévu pour la période 2021 - 2024. Ces volumes sont probablement inférieurs aux apports annuels de sédiments aux voies d'eau wallonnes. Toutes les matières de catégorie A (non ou peu polluées) sont valorisées tandis que 2/3 des matières de catégorie B (polluées) sont éliminées en CET. Il n'existe cependant pas de données consolidées sur les volumes de sédiments valorisés ou enfouis ni sur leur destination finale.
Les variations dans le temps des volumes dragués et gérés sont directement liées aux moyens alloués. Les données actuelles ne permettent pas de suivre les évolutions en termes de valorisation (catégorie B) et de destination (catégories A et B) des matières.